Marie-Claude Renaud a passé plus de 10 ans à danser nue. Et à vivre son rêve, rien de moins. Elle a aussi enseigné le yoga à travers ces années et a nettement moins aimé cela. Entretien sans filtre avec une femme qui n’a pas la langue dans sa poche.

Attention, les propos qui vont suivre pourraient vous choquer. Disons qu’ils détonnent, mais qu’ils ont le mérite d’être sentis. Après tout, c’est son vécu, elle en a long à raconter et, surtout, elle a envie de se faire entendre.

« J’ai voulu mettre ces deux milieux face à face, parce que je suis mieux dans un bar de danseuses que dans une école de yoga », déclare sans hésiter celle qui publie ces jours-ci Yogi Stripper, un récit autobiographique aux Éditions La Mèche (La Courte Échelle), dans la collection Flammèches.

Si elle ne met pas de gants dans son texte, elle les jette carrément en personne. « Un bar de danseuses, c’est lumineux, il y a de la place pour toutes sortes de personnes et personne ne te fait la morale. Tandis que dans une école de yoga, enchaîne l’autrice, rencontrée il y a quelques jours, on juge beaucoup : ce que je mange, ce que je consomme, à quelle heure je me lève. »

Il y a des requins partout. Dans un bar de danseuses, les requins sont des requins. Dans un studio de yoga, ils sont déguisés en dauphins…

Marie-Claude Renaud

« Dans un studio de yoga, les rapports sont doux. Il y a beaucoup de bonne foi. Mais ce n’est pas parce que c’est de la bonne foi que c’est correct de le faire », enchaîne celle qui en a soupé de la « supériorité morale », servie en outre par un « faux gourou » déguisé en dauphin, on l’aura compris. Dauphin sorti de sa vie depuis, on vous rassure.

D’ailleurs, si elle n’enseigne plus le yoga (« je vais en faire, pour m’occuper de mon corps »), elle n’a pas fermé la porte à la danse pour autant. « J’ai l’occasion de faire autre chose (notamment un livre et aussi un job en construction !), mais la porte n’est pas fermée, parce que j’aime beaucoup ça ! »

Pourquoi, au juste ? Aussi loin qu’elle se souvienne, Marie-Claude Renaud, un véritable moulin à paroles, a toujours aimé danser. Pour oublier, comprend-on. « La musique, c’est envoûtant. Il y a quelque chose d’hypnotisant. Quand tu danses, la douleur disparaît. Il n’y a pas grand-chose qui prend toute la place comme ça, qui bouche tous les trous. La sexualité ? La drogue ? Dieu prend toute la place. Non, il n’y a pas grand-chose qui fait taire une tête tourmentée… »

Parce que oui, Marie-Claude Renaud, qui a fait des études (inachevées) en arts plastiques, sciences humaines, soins infirmiers, théâtre et scénarisation, a toujours eu une « tête tourmentée ». « Ça n’arrête pas… »

Et pourquoi vouloir danser nue, exactement ? « Je ne savais pas comment être reconnue [autrement] », répond-elle, montrant du doigt la culture actuelle et toute l’hypocrisie ambiante. « C’est cette culture-là qui m’a poussée à penser qu’il fallait que je me déshabille », ajoute-t-elle, citant au passage Hollywood et le cinéma des années 1980 et 1990 (allô, Pretty Woman).

Un « soin thérapeutique »

Elle commence sa carrière fin vingtaine, dans des bars de danseuses du Nouveau-Brunswick avant d’atterrir à Kingston, pour aboutir dans les plus chics clubs de Montréal. C’est paradoxalement dans ces mêmes bars que Marie-Claude Renaud a aussi compris qu’il n’y avait pas que l’apparence dans la vie.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Marie-Claude Renaud, autrice de Yogi Stripper

J’ai souvent été la moins belle, la plus vieille, la moins refaite. Et j’ai aussi souvent été celle qui faisait le plus d’argent.

Marie-Claude Renaud

Et non, pas parce qu’elle faisait le plus d’extras. Tout le contraire. « Mais à cause de ma personnalité », dit celle qui voyait son « art » comme relevant aussi du « soin thérapeutique ». « Tu regardes, tu écoutes, tu accueilles. On ne trouve pas ça souvent », fait-elle valoir.

Quand on lui demande si elle ne craint pas ici de banaliser le monde des danseuses et de la prostitution, elle répond : « Oui, on vit dans une culture qui banalise. Mais moi, je conte ma vie : pas pour en faire la promotion, au contraire ! »

Il faut dire que non, tout n’est pas exactement rose dans son récit. Marie-Claude Renaud y raconte aussi son rapport trouble avec la nourriture (elle a souffert de boulimie), sans parler des drogues. Elle a d’ailleurs passé de longs mois en désintoxication, ce qui nous vaut un énième coup de gueule. « C’est un point de vue qu’on n’entend pas souvent, dit-elle. Mais j’ai des choses à dire. » Notamment : « L’abstinence, selon moi, ce n’est pas de la sobriété. Ce n’est pas de l’équilibre. » Dépendant un jour, dépendant toujours ? « Je ne crois pas vraiment à ça », tranche-t-elle. Peut-être dans certains cas ? « Peut-être pas, ajoute-t-elle. Moi, je prends une puff de joint tous les deux jours, je suis capable de manger un dessert et je suis capable de prendre un verre sans me soûler. »

Notez l’ironie : « Je me plains des gens qui font la morale et je termine en faisant la morale, rit Marie-Claude Renaud. Moi, j’ai surtout envie que les gens soient divertis. Ils ne sont pas obligés d’être éduqués… » Un peu bousculés, peut-être ?

Yogi Stripper

Yogi Stripper

La Mèche

256 pages