Imaginez si Gino Chouinard ou Guy Mongrain était arrêté les culottes baissées avec de la cocaïne dans les poches, après une looongue nuit de party lui ayant creusé des cernes encore plus profonds que le Grand Canyon.

Le Québec ne s’en remettrait pas. Les commanditaires non plus. Et les réseaux sociaux imploseraient.

Voilà le point de départ de l’audacieuse série Bon matin Chuck (ou l’art de réduire les méfaits), qui plaira aux fans d’œuvres télévisuelles originales, plus de type HBO, dans la lignée de Série noire ou des Invincibles.

Et cette filiation n’étonnera personne, car Jean-François Rivard (C’est comme ça que je t’aime) a écrit et coréalisé avec Mathieu Cyr les dix épisodes de Bon matin Chuck, dont les deux premières heures atterriront sur la plateforme Crave le mercredi 24 mai.

Avertissement : cette comédie dramatique grinçante se déploie entièrement en noir et blanc et oui, ça surprend au départ, mais on finit par l’oublier. La version que diffusera Noovo éventuellement passera en couleurs, cela dit. Je n’ai vu que deux épisodes et j’ai très, très hâte de m’enfiler le reste.

Donc, Chuck. Il s’appelle en fait Charles Bélanger (Nicolas Pinson) et il réveille les téléspectateurs de Bon matin, un café ? depuis maintenant 11 ans. Tout le monde aime Chuck. Il fait partie des meubles et il commercialise même des pots de sauce avec son visage poupin dessus.

Mais, voyez-vous, Chuck aime faire la fête – on connaît quelques animateurs du showbiz québécois qui sont passés par cette phase-là. Une des premières séquences de Bon matin Chuck, du jamais vu à la télé d’ici, nous montre la dérape totale du timonier chouchou du Québec. Le visage suintant, Chuck alterne entre la clope, la poudre et l’alcool dans un bar clandestin (oui, ça existe) et aboutit dans une cabine de toilette avec deux filles sur le même buzz que lui. Il y a du caca d’impliqué, du vomi, du burlesque et une réplique bien crue : « Sors de ma plotte ! »

Oui, c’est vulgaire, mais le contexte le justifie. Après cette fête décadente, Chuck ne se pointe pas à la station de télé et il urine dans un stationnement public. Une fan plus âgée le prend en photo avec son iPad, quoi d’autre, et le scandale éclate.

Le flic qui l’intercepte résume parfaitement la position de Chuck dans le star système : « C’est pas une vedette, c’est une institution. Sans lui, c’est le chaos matinal. Si on l’arrête, c’est pas juste lui qui tombe, c’est le moral collectif. »

Comme Maripier Morin, il y a trois ans, Chuck perd tout : son émission, son contrat avec Toyota, son agente (Marilyn Castonguay), le Bye bye et sa copine Emma (Nathalie Doummar), l’actrice vedette d’un feuilleton historico-hospitalier à propos de Jeanne Mance, la cofondatrice de Montréal.

L’acteur Nicolas Pinson, également idéateur de la série, a été en cure trois fois et les problèmes de consommation excessive de Chuck s’inspirent beaucoup des siens.

Dans le déni de sa propre toxicomanie, Chuck se dépose dans la maison de rétablissement de la psychiatre Marie Chagnon (Chantal Fontaine), qui lui propose un marché. Chuck parle de sa thérapie et fait de la publicité à son établissement, ce qui permet à la Dre Chagnon de conserver ses subventions gouvernementales. C’est gagnant-gagnant.

Évidemment, le plan ne se déroulera pas comme prévu. Chuck se mêle difficilement aux autres résidants, qui s’en méfient. Sylvain Marcel, Hugo Dubé, Lyna Khellef, Claire Jacques et Amélie B. Simard incarnent des personnages accros à une panoplie de vices : l’alcool, le jeu, le fentanyl, le crack ou les benzodiazépines. Bernard Fortin campe leur thérapeute.

Ça peut sembler cliché sur papier, mais ça ne l’est pas. Bon matin Chuck fait des clins d’œil au monde de la télévision sans toutefois en faire le cœur de ses préoccupations. Les épisodes parlent de dépendance et de réhabilitation avec humour et sensibilité.

D’ailleurs, décrire avec justesse cette production singulière n’est pas évident. La trame sonore comprend du jazz, Les portes du pénitencier et du Marie Carmen. Un petit dragon en dessin animé s’incruste dans le scénario aux côtés d’une citation de Bukowski et d’un danseur de claquettes. Étonnamment, ce mélange hétéroclite forme une série cohérente et intelligente.

Aussi, c’est très bien joué et réalisé. Danielle Ouimet est surprenante dans le rôle de la voisine empathique de Chuck, qui lui tend une perche alors que notre protagoniste touche le fond du baril (de poudre, c’est le cas de le dire).

Avant de recevoir un déluge de courriels courroucés des amoureux de la langue française, oui, l’expression « bon matin », calquée sur le « good morning » de l’anglais, est déconseillée en français. L’animateur de Bon matin, un café ? le sait que c’est un anglicisme et ça l’exaspère : « C’est pas français pour une crisse de cenne, on devrait dire salut. Salut, un café ? Bonjour, un café ? Simple, rassembleur, pis en français, tabarnak. »

Voilà une issue qui a bien été adressée, je voulais vous le partager. Il faut mettre l’emphase sur ce type de fautes qui ne font pas de sens.