« De quel genre de monde mes petits-enfants ont-ils hérité ? Comment fait-on pour mener une vie pleine, riche et remplie d’espoir en sachant tout ce que l’on sait ? » C’est en réfléchissant à ces questions que Miriam Toews a écrit Nuit de combat. Pour ses quatre petits-enfants. Pour qu’ils sachent qu’il est possible, malgré les pertes et les tragédies que nous lèguent ceux qui nous ont précédés, de s’en sortir et d’éprouver de la joie.

Depuis qu’elle est devenue grand-mère pour la première fois, il y a cinq ans, l’autrice de Pauvres petits chagrins a pris un tournant dans sa vie personnelle comme dans l’écriture. « J’ai un rôle, dans un sens, et c’est d’écrire et d’exister en tant que personne pleine d’espoir, et d’essayer de transmettre cela. »

Comme pour tous ses romans ou presque, Miriam Toews s’est inspirée de ce qu’elle connaît de près, sa vie et les grands drames qui l’ont ponctuée.

« Mes petits-enfants vont avoir beaucoup de questions en grandissant sur ce qui est arrivé à certains membres de notre famille, des personnes dont ils portent le nom, confie l’écrivaine qui vit à Toronto. Alors je voulais écrire là-dessus dans Nuit de combat – je parle de suicide, de maladie mentale, de pères absents, toutes ces choses qu’ils voudront connaître –, pas forcément pour répondre à des questions, mais simplement dans un objectif de transmission. »

Et ces questions – elle est catégorique sur ce point – ne doivent pas être évitées dans les discussions de famille, car la maladie mentale comme les pensées suicidaires, dit-elle, peuvent être héritées.

Une lignée sous le même toit

La narratrice de Nuit de combat, Swiv, vit avec sa mère et sa grand-mère depuis que son père s’est volatilisé. Du haut de ses 9 ans, c’est un peu elle, l’adulte de cette famille qui lui fait souvent honte « dans le vrai monde ». Suspendue de l’école après s’être encore battue, elle guette les moindres sautes d’humeur de sa mère – qui est enceinte et dépressive –, de crainte qu’elle ne se tue, comme sa tante Momo et son grand-père. En même temps, elle veille sur sa grand-mère un peu excentrique qui, sous le prétexte de lui faire l’école à la maison, lui raconte dans sa leçon « d’Histoire ancienne » sa vie et son enfance difficile.

La grand-mère, Elvira, est un personnage central du roman qui permet à sa petite-fille, par son exubérance et sa bonne humeur, de tenir le coup, malgré l’anxiété et la peur qui la rongent. Et c’est en quelque sorte l’alter ego romanesque de la mère de Miriam Toews, qui souhaitait écrire sur cette personne « remarquable » qui a toujours été et qui continue d’être leur roc. « Elle est très vieille et c’est assez probable que ses arrière-petits-enfants ne la connaîtront pas vraiment. Quels souvenirs d’elle garderont-ils ? », se demande l’écrivaine.

En exergue de Nuit de combat, Miriam Toews cite d’ailleurs cette phrase de John Steinbeck, l’un de ses écrivains préférés, qui lui évoque à la fois sa mère et la grand-mère du roman : « Fait étrange, la tristesse ne s’accentue pas forcément avec l’âge. »

Souvent, on pense qu’avec l’accumulation des difficultés, des pertes, de la tristesse, des échecs et juste l’agonie de vivre, plus on vieillit, plus on se sent oppressé, morose, triste ou mélancolique. Mais je ne vois pas que c’est le cas.

Miriam Toews

« John Steinbeck avait raison, ajoute-t-elle. Ma mère semble avoir plus de joie chaque jour et nous la transmet, en plus de sa résilience. Et je crois que ça vient essentiellement de cette compréhension – comme le poète Yeats et d’autres l’ont dit – que pour vivre et éprouver de la joie, il faut avant tout comprendre que la vie est une tragédie. »

Aujourd’hui, Miriam Toews est consciente de la chance qu’elle a de pouvoir être auprès des siens. Par-dessus l’écran de son ordinateur, qu’elle fait pivoter sans hésiter durant notre visioconférence pour nous la montrer, elle a une vue directe sur la maison de l’autre côté du jardin, où habitent sa mère, au rez-de-chaussée, sa fille (qui a publié son premier roman l’an dernier), le compagnon de celle-ci et leurs deux enfants, aux étages supérieurs. Quatre générations pratiquement sous le même toit, puisque l’écrivaine et son compagnon habitent désormais la maison secondaire construite sur le terrain il y a quelques années.

« Ce n’est pas sans problèmes, c’est sûr ; il faut constamment établir des limites. Mon fils, sa compagne et leurs deux filles vivent à Winnipeg, alors j’essaie de les convaincre de venir ici aussi… mais je ne suis pas sûre qu’ils vont le faire ! », dit-elle en s’abandonnant à ce rire candide qui aura ponctué tout l’entretien.

En librairie le 9 mai

Nuit de combat

Nuit de combat

Boréal

288 pages