Comment prouver son innocence quand on est convaincu de n’avoir commis aucune faute, mais que les autres nous ont condamné d’avance ? Deux innocents, le nouveau roman de la Française Alice Ferney, nous plonge dans un drame humain d’une intensité poignante – et d’autant plus troublant qu’il est inspiré d’une histoire vraie.

C’est un roman qui révolte. Qui remue. Qui prend aux tripes tant il est impossible de rester impassible face au sort réservé à cette femme qui se retrouve victime de sa bonté, de sa sincérité – certains diront même de sa naïveté.

« Tout ce que je raconte est vrai ; il n’y a absolument rien d’inventé. Quand elle m’a été racontée, l’histoire n’était pas du tout finie, donc je l’ai suivie et j’ai eu des nouvelles continues de ce qui se passait », explique Alice Ferney, jointe par visioconférence à Paris.

Claire, le personnage principal, est enseignante dans un établissement pour jeunes vivant avec un handicap. En septembre 2018, elle accueille un nouvel élève, Gabriel. Très vite, la situation prend un tournant dangereux. Et pour la première fois, l’écrivaine confie avoir choisi d’écrire au présent, « pour que le lecteur soit de plain-pied dans l’affaire ».

Pour bien comprendre le contexte de l’affaire, il faut savoir qu’au moment où se déroule la descente aux enfers de Claire, la France est en plein scandale entourant l’affaire du cardinal Barbarin, accusé de ne pas avoir dénoncé les agressions sexuelles commises par un prêtre ; précisément un an après la naissance du mouvement #balancetonporc (le pendant français de #moiaussi). Dans ce climat, « tout geste affectueux devient suspect », écrit Alice Ferney dans son roman.

À tout instant, cependant, l’écrivaine a pris soin de ménager les différentes parties.

Je n’écris jamais pour juger ou pour critiquer, ou pour mettre en pièces ; j’écris toujours pour comprendre comment les choses se sont passées. Tout le monde a ses raisons et tout le monde a raison dans ses raisons.

Alice Ferney

« Je me suis dit : “Il faut que je raconte cette histoire en étant la plus absente possible et je ferai du lecteur le témoin de ce qui se passe.” Le lecteur rentrera dans la classe, il verra comment se déroule le cours. Tout d’un coup, il verra qu’il y a une accusation et je lui raconterai tout ce qui se passe et comment on l’interprète. Et à la fin, je lui dirai : “Qu’est-ce que tu en penses ?” »

« Une culpabilité présumée »

Dans ce drame aux allures de tragédie grecque, qui s’articule essentiellement autour d’un trio de femmes – l’enseignante, la mère de l’élève et la directrice de l’école – et qui porte à réfléchir sur la place de l’affection dans l’éducation, il y a à la source un malentendu autour des mots, un détournement du sens des mots qui débouche sur « une culpabilité présumée », estime Alice Ferney.

« La suspicion, déjà, détruit l’innocence ; l’autre vous regarde comme un coupable. Et là, tout le monde embraye, tout le monde suit la mère [de Gabriel]. » Puis, une première juge d’instruction « qui fait mal son travail » précipite l’enchaînement des faits.

La justice est humaine, et comme tout ce qui est humain, elle est imparfaite. On espérerait que l’innocence soit visible, mais elle ne l’est pas.

Alice Ferney

Alice Ferney se dit d’ailleurs très sensible à l’injustice, et encore plus à ce moment où la justice est restaurée. Son rôle d’écrivain est-il donc, en quelque sorte, de donner une voix à ceux qui n’en ont pas – et dans le cas précis de Deux innocents, à celle qui n’a pas pu se faire entendre ?

« J’aime beaucoup cette idée. Faulkner le disait, beaucoup d’auteurs l’ont dit… L’écriture, c’est quand même quelque chose d’extraordinaire ; c’est à la fois un acte de pouvoir et de puissance parce que c’est quand même celui qui raconte l’histoire qui la possède, qui impose sa vision. C’est pour ça, d’ailleurs, que ça peut être violent quand vous racontez l’histoire d’un autre. C’était la fameuse phrase de Georges Bataille : ‟Écrire l’histoire d’un autre est une transgression qu’il faut assumer” », conclut-elle.

Deux innocents

Deux innocents

Actes Sud

320 pages