« Mon père a tué ma mère. » C’est cette phrase sidérante qui a provoqué l’étincelle derrière Ceci n’est pas un fait divers, le nouveau roman de Philippe Besson qui arrive tout juste en librairie. Nous en avons discuté avec l’écrivain français lors de son dernier passage à Montréal, en novembre, à l’occasion du festival Cinémania.

Visiblement, l’histoire vraie qui a inspiré ce roman sur un féminicide le secoue toujours. Ceci n’est pas un fait divers est d’ailleurs dédié à ce jeune homme que l’écrivain a rencontré et qui a fini par lui raconter les circonstances du drame.

« Imaginez que quelqu’un vous dise ça… Vous êtes devant une chose vertigineuse. Il y a un blanc, je ne sais pas répondre », confie-t-il avec cette volubilité qui ne le quittera pas de tout l’entretien.

« Passé cette stupéfaction, je lui demande pourquoi il ne prend pas la parole. Parler, c’est une façon de s’en sortir. Et il me dit : “Nous, on est des victimes collatérales, donc on doit être des victimes invisibles et silencieuses. C’est comme si la mort de ma mère emportait tout ; donc on n’a pas le droit de se plaindre en plus.” »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Philippe Besson

Peu de temps après, Philippe Besson voit un reportage au téléjournal, en France, où des « enfants de féminicides » sont interviewés ; une jeune femme raconte comment elle perd d’abord l’accès à sa maison, devenue une scène de crime, puis, une fois les scellés retirés, des mois plus tard, elle la retrouve intacte lorsqu’on l’autorise à y retourner.

« Elle dit dans le reportage : “C’est moi qui l’ai nettoyée.” J’ai visualisé la scène et je me suis dit : est-ce qu’on peut faire quelque chose de plus terrible que de devoir nettoyer le sang de sa mère dans une scène de crime ? »

À partir de ce moment-là, le romancier a su qu’il devait écrire ce livre. Il s’est documenté, a beaucoup lu, et ce qu’il a appris sur les cas répertoriés de féminicides l’a scandalisé.

« Quand vous tirez le fil de la pelote, vous découvrez des choses épouvantables. J’ai découvert, par exemple, que le père garde l’autorité parentale sur les mineurs ; même s’il est en prison, il peut être un père », s’indigne-t-il.

Plongée dans « l’inintelligible »

Dans Ceci n’est pas un fait divers, il prend le point de vue d’un jeune homme de 19 ans dont la sœur, âgée de 13 ans, a été témoin du meurtre de sa mère par son père. Un pas à la fois, il nous fait plonger dans l’horreur de chacun de leurs instants, jusqu’au procès et en passant par la découverte terrible que leur mère était allée voir la police, un an auparavant, sans qu’aucun suivi soit fait par les policiers. Comme c’est souvent le cas, déplore-t-il.

Ce roman, il le reconnaît, a été plus difficile à écrire que tous ses précédents (soit plus d’une vingtaine à ce jour). Pourquoi ? Parce qu’il se sentait un devoir d’être à la hauteur, de faire preuve de respect et de peser chacune de ses paroles pour ne pas sombrer dans la colère qu’il ressentait et encore moins dans le pathos, en décrivant ce qu’il appelle « l’inintelligible ». Mais il fallait surtout qu’on entende et qu’on voie ces victimes invisibles et silencieuses.

Mon boulot d’écrivain, c’est peut-être ça, justement : de mettre des mots sur les silences, sur l’indicible.

Philippe Besson

L’écrivain, qui s’est toujours défini lui-même « comme un romancier du sensible », nous fait passer par toute la gamme d’émotions que ces enfants traversent : la sidération, la tristesse infinie, la colère, la culpabilité, le jeu cruel des « et si », l’impossibilité de continuer à aimer cet homme qu’ils ne réussissent même plus à appeler papa.

« Ça fait 20 ans que j’en suis convaincu, on peut éveiller les esprits beaucoup plus en passant par le registre de l’émotion et du sensible. Quand vous lisez un essai sur les féminicides, […] vous perdez la matière humaine qui est pourtant au premier plan. L’idée, c’est qu’il fallait revenir au fait que c’est d’abord une histoire de destruction humaine, et donc raconter la déflagration et les ondes successives à travers tous les sentiments qu’on éprouve », explique Philippe Besson.

Le roman est là pour ouvrir une fenêtre, réveiller des consciences, insiste-t-il. Mais comment on fait pour « se débrouiller » avec ces sentiments de perte, de deuil et d’absence qui, il l’admet, l’obsèdent depuis toujours… il l’ignore toujours. « Moi, j’écris des livres », conclut-il, l’air soudain songeur.

Ceci n’est pas un fait divers

Ceci n’est pas un fait divers

Julliard

208 pages