L’absence annoncée de Juste pour rire, qui s’est placé à l’abri de ses créanciers, laisse un vide à combler dans l’industrie du spectacle. À ComediHa!, on sait que le paysage sera bien différent désormais et que l’occasion de s’imposer comme leader en humour est à sa portée.

« Sans enlever la tristesse de ce qu’on perd, depuis l’annonce [de mardi], des partenaires commanditaires, des partenaires gouvernementaux et des artistes qui pensaient être à Juste pour rire nous ont contactés », affirme Sylvain Parent-Bédard, président-fondateur de ComediHa!.

Malgré tout, il est évident que le vide qui sera laissé par le géant de l’industrie attire beaucoup d’attention sur ComediHa!, l’un des plus grands acteurs dans le domaine de l’humour, qui célèbre son 25anniversaire cette année.

Le Groupe Juste pour rire tenait son festival durant deux semaines en juillet, dans le Quartier des spectacles et dans plusieurs salles montréalaises. Dans le contexte où « la sortie de pandémie est encore plus difficile que la pandémie », Sylvain Parent-Bédard pouvait s’attendre à une telle nouvelle, sans toutefois s’imaginer que le Groupe était à ce point en difficulté.

Que Juste pour rire tombe de cette façon, j’étais loin de le voir arriver. Nous avions même des discussions avec eux il y a seulement 15 jours.

Sylvain Parent-Bédard, président-fondateur de ComediHa!

Le festival qu’il organise ne cherchera pas à remplir le trou dans le calendrier l’été prochain. Mais « dans l’humour francophone, indirectement, sans vraiment le vouloir, on va prendre plus de place et être un vaisseau amiral pour l’industrie québécoise ».

Diversifier l’offre

« On pourrait être tenté de réagir très vite, observe Sylvain Parent-Bédard. Mais sur le plan culturel, je pense qu’il faut d’abord prendre du recul. Tout ce que Juste pour rire ne pourra pas faire, on est capables de le faire, mais il nous faudra les moyens. »

L’entreprise, comme l’a d’ailleurs fait Juste pour rire avant elle, cherche à diversifier son contenu, en offrant du spectacle, mais aussi de la télévision, de la distribution, un volet musical (avec la Superfrancofête, notamment) et une expansion internationale.

Bien que le festival ComediHa! demeure la pierre angulaire de ses activités, Sylvain Parent-Bédard fait valoir combien il est important pour l’entreprise, dans le contexte actuel en divertissement, de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. « On se doit d’aller chercher toutes les cennes », dit-il.

L’importance de JPR pour les humoristes

À la première montréalaise du nouveau spectacle de Mario Jean, Les imparfaits bonheurs… et autres tutti quanti de la vie !, qui s’est tenue mardi, certains artistes présents ont tenu à parler des déboires financiers de Juste pour rire et réitérer l’importance de ce groupe pour l’humour au Québec.

Au moment de tirer sa révérence à la fin de sa prestation, Mario Jean a tenu à saluer ses collègues coincés dans la tourmente. « Je ne peux pas m’empêcher de penser aux employés de Juste pour rire », a-t-il souligné, ajoutant qu’à ses débuts en humour, ils étaient environ neuf à pratiquer le même métier que lui. « Et on se demandait s’il y avait trop d’humoristes… » Aujourd’hui, ils sont une soixantaine, et c’est beaucoup grâce à Juste pour rire, a-t-il précisé. « Vous aimez ça, rire ? Rire de nous autres, c’est ça qui est important… »

Pour Maxim Martin, qui a longtemps fait partie de l’écurie d’artistes produits par Juste pour rire, la chute de l’empire de la blague symbolise « la fin d’une époque ».

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Maxim Martin

C’est ce qui nous a mis au monde. Ç’a changé nos vies radicalement. Moi, j’ai connu la période de gloire des galas. Lise Dion a fait son numéro du Dunkin’ Donuts et a vendu 400 000 billets ensuite ! Il y avait quelque chose de magique.

Maxim Martin

L’humoriste, qui anime l’émission balado Deal avec ! et en pilotera bientôt une deuxième avec sa fille Livia et un troisième acolyte encore inconnu, prévoit de lancer un nouveau spectacle autoproduit dans un an.

« Le parent pauvre de Just For Laughs »

L’auteur Pierre Huet a collaboré sporadiquement au fil des ans avec Juste pour rire, qu’il décrit comme son alma mater. Tant sur scène qu’à la télévision, il a contribué à plusieurs galas – notamment celui coanimé par Dominique Michel et Michel Drucker, en 1985 –, a travaillé sur l’émission Les gags et avait déjà eu le projet d’écrire un livre sur l’institution, avant que n’éclate le scandale Gilbert Rozon. Lui aussi sentait que les années de gloire de l’organisation étaient derrière elle.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Huet, collaborateur de Juste pour rire

« De toute évidence, Juste pour rire était devenu le parent pauvre de Just For Laughs. Pour les Américains qui l’avaient racheté, c’était une cinquième roue, ils ne s’y sont pas intéressés, et ça donne ce que ça donne. »

« Juste pour rire, pour moi, ça va au-delà de l’humour. C’est grâce à Juste pour rire qu’on a eu [Charles] Trenet, qu’on a eu de l’audace dans les choix, du théâtre, de la comédie musicale. Cet été, il y aura les Francos, le Festival de jazz, puis un grand trou. Il va manquer une dent d’en avant… », a terminé Pierre Huet.

Avec Marie-Josée R. Roy, collaboration spéciale