Mouton, deuxième spectacle de Mehdi Bousaidan, frise souvent la banalité, tant il est échevelé.

Mehdi Bousaidan est environ au tiers de son spectacle lorsqu’il arrive à la raison pour laquelle sa nouvelle tournée s’intitule Mouton, en se remémorant le jour où, alors qu’il n’était encore qu’un enfant émerveillé, son père l’a emmené chez un éleveur ovin afin de lui proposer de choisir une des bêtes, qu’ils ramèneraient à la maison.

Le pauvre petit Mehdi pensait rentrer chez lui avec un gentil animal de compagnie, il quittera plutôt la bergerie avec de la viande : il en va ainsi de la fête musulmane de l’Aïd, lors de laquelle, traditionnellement, un mouton est sacrifié.

Depuis ce temps, l’humoriste de 32 ans éprouve beaucoup de « difficulté à prendre des décisions », a-t-il expliqué jeudi soir à l’Olympia lors de sa première médiatique, un filon riche qu’il délaissera aussitôt cette histoire de jeunesse terminée. Mehdi Bousaidan passe tout de suite à un autre sujet, la pandémie, à propos de laquelle, à ce stade-ci, il faut avoir des choses suprêmement originales à dire si l’on souhaite ne pas répéter ce qui a déjà été entendu trop de fois.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Mehdi Bousaidan

Même remarque en ce qui concerne son segment sur les attentats du 11 septembre 2001. Bien que l’on ne doute pas que, pour un adolescent d’origine arabe, cette tragédie soit associée à un traumatisme et au souvenir d’une ostracisation, il faut, presque 23 ans plus tard, proposer une lecture singulière, ou particulièrement intime, de ces évènements pour transcender la lourde impression de redite.

Revenir à ses moutons

Certes, la majorité des spectacles d’humour au Québec sont composés d’une courtepointe de numéros n’ayant a priori pas forcément de lien entre eux. Mais celui de Mehdi Bousaidan fait plutôt l’effet d’un spectacle qui aurait été écrit par mille humoristes différents, tant il peine à trouver une identité propre.

Alors que le début du spectacle, durant lequel il s’insurge contre la récente annonce de la rénovation du toit du Stade olympique, laisse croire qu’il souhaite se réinventer en commentateur de l’actualité (avec une certaine efficacité, surtout quand on prend en compte que l’annonce en question date de cette semaine), la suite oscille entre observations éculées, anecdotes du quotidien et provocations mal assumées.

L’humoriste tire sur une infinité de fils, toujours pour mieux immédiatement les délaisser, passant sans réelle logique de ses visites chez Costco à son rapport à la nature, des athlètes transgenres au mépris ordinaire des Parisiens pour les Québécois, du pronom iel à la popularité des émissions de true crime.

Il saute du coq à l’âne, sans jamais revenir à ses moutons.

Mais où se cache Mehdi ?

Mehdi Bousaidan est cependant beaucoup trop talentueux pour que ce spectacle tourne à la catastrophe. Il est peut-être, en réalité, un des humoristes de sa génération au plus grand talent brut. Mais ce talent, il l’emploie davantage comme une béquille que comme un tremplin, usant de ses act outs (ces saynètes où il donne à voir une situation qu’il vient de décrire) comme d’une police d’assurance lui permettant de générer des rires après avoir balancé des lignes convenues à propos de l’inefficacité des caisses libre-service ou de la dépendance numérique.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Mehdi Bousaidan

Il utilise aussi une autre bonne vieille béquille consistant à ressortir un évènement loufoque, mais méconnu, de l’actualité, afin de récolter quelques rires, dans ce cas-ci, l’histoire de l’équipe de handibasket espagnole qui, aux Jeux paralympiques, a présenté un alignement composé de 10 joueurs (sur 12) pas handicapés du tout. De quand date cette histoire ? Des Jeux de Sydney en… 2000 !

Évoquer la fameuse liste de relations du prédateur sexuel Jeffrey Epstein repose sur un procédé semblable : Bousaidan ne s’en servira au bout du compte qu’afin de mettre la table à une blague inutilement dégradante au sujet du regretté physicien Stephen Hawking qui, soit dit en passant, n’a été accusé d’aucun crime.

Personne ne demande à tous les humoristes de transformer leur spectacle en séance d’introspection ou d’excavation des profondeurs de leur âme. Mais Mehdi Bousaidan est à ce point absent de son propre spectacle, même de ses numéros en apparence plus personnels, qu’il est difficile d’en venir à une autre conclusion que celle-ci : cette nouvelle tournée ne répond à aucune autre nécessité que celle de simplement repartir en tournée.

À quoi bon mentionner qu’il vient de se marier, si ce n’est qu’afin de récolter des applaudissements et ne rien exprimer au sujet de ce moment majeur d’une vie ? Pourquoi offrir son soutien aux profs en grève, si ce n’est qu’afin de flatter son public dans le sens du poil et ne rien ajouter à la conversation collective sur l’éducation ?

Mehdi Bousaidan dit toujours ce que son public veut entendre alors que son public, ou du moins l’auteur de ce texte, aimerait entendre ce qu’il a, lui, à dire. Si bien que, pour l’instant, il ressemble davantage à un mouton de Panurge qu’à un mouton à cinq pattes.

Mouton

Mouton

Mehdi Bousaidan

En tournée partout au Québec

5/10