Dans le merveilleux monde du showbiz, royaume des égos insatiables et des éternels insatisfaits, Daniel Lemire est un homme comme il s’en fait peu : un homme contenté. Conversation sur la place des humoristes avec celui qui célèbre 40 ans de carrière.

La nouvelle tournée de Daniel Lemire ? « Comme diraient les Chinois, c’est just for plain fun », explique l’humoriste de 67 ans. « Je ne suis pas là pour battre un record de ventes. Je le fais parce que la scène me permet de parler de ce dont j’ai envie de parler, et parce que les gens me suivent encore, ce n’est pas plus compliqué que ça. Qu’est-ce que je pourrais demander de plus ? »

Depuis qu’il a traversé le cap de la cinquantaine, le vétéran a considérablement ralenti la cadence. C’est qu’il a beaucoup donné de sa personne à une époque où il pouvait présenter jusqu’à six spectacles par semaine, de neuf à dix mois par année. Et que, comme il le dit lui-même, « il n’y a pas que l’humour dans la vie ». Un constat qu’il entend autant au sens personnel – il a passé beaucoup de temps au Mexique avec sa conjointe, l’écrivaine Lucie Dufresne, dont l’œuvre porte sur la civilisation maya – que social.

Issu d’un temps où il était possible de compter tous les humoristes québécois sur les doigts de deux mains, le vétéran demeure un des rares représentants de sa profession à s’autoriser un regard critique sur l’ubiquité médiatique de ses collègues et, surtout, sur leur propension à accepter de s’exprimer sur tous les sujets, sans égard à leur expertise. Bien qu’il pétrisse la pâte de l’actualité, et qu’on le devine plus à gauche qu’à droite, Lemire s’est d’ailleurs toujours gardé de disséminer ses propres opinions.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Daniel Lemire

Je ne me suis jamais tellement prononcé sur quoi que ce soit. Ce n’est pas parce que t’es connu que t’as un avis éclairé sur tout. À un moment donné, il faut faire preuve d’humilité. La plupart du temps, il y a quelqu’un qui s’y connaît plus que toi.

Daniel Lemire

Et s’il admire plusieurs de ses cadets – tout particulièrement Simon Gouache, Louis T et Rosalie Vaillancourt, avec qui il a présenté un numéro cet été en Oncle Georges lors de l’ultime gala Juste pour rire –, il est moins probable que vous croisiez Daniel Lemire parmi le public d’une soirée d’humour qu’à la Maison symphonique ou dans un spectacle de danse, « une des formes d’art qui m’émeut le plus, même si je suis loin d’être un expert ».

« Et c’est essentiel qu’on continue partout au Québec de présenter une variété de spectacles, plaide-t-il. L’humour devrait permettre aux diffuseurs de faire venir des shows qui remplissent peut-être moins, mais qui sont aussi importants, sinon plus, pour la culture. J’ai toujours pensé que ce n’est pas parce que ta salle est pleine que tu fais le meilleur show en ville. Je suis déjà sorti de salles où il n’y avait pas grand-monde et je flottais. »

Au-dessus de la mêlée

On souligne trop peu, pense Louis T, à quel point Daniel Lemire aura su, au cours des quatre dernières décennies, se livrer à une sorte de grand écart en conjuguant « de l’humour très cabotin et du commentaire sur l’actualité, des personnages et du stand-up. Il a mené ces deux approches-là, de front, ce qui est hyper rare », fait valoir celui que l’on pourrait considérer comme son héritier.

Il a subtilement mis en lumière les travers de notre société, mais en évitant de diviser ses salles. Il a toujours su s’élever au-dessus de la partisanerie et de nos chicanes.

Louis T

  • Avec Yvon Deschamps et Pierre Légaré, en 2008

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    Avec Yvon Deschamps et Pierre Légaré, en 2008

  • Avec Dominique Michel en 1985

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Avec Dominique Michel en 1985

  • Daniel Lemire en 1985

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    Daniel Lemire en 1985

  • Daniel Lemire en Oncle Georges

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    Daniel Lemire en Oncle Georges

  • Les comédiens de SMASH, une série diffusée en 2005 : Jean L’Italien, Louis-Georges Girard, Linda Sorgini et Daniel Lemire

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    Les comédiens de SMASH, une série diffusée en 2005 : Jean L’Italien, Louis-Georges Girard, Linda Sorgini et Daniel Lemire

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Zigzaguer entre les lignes de fracture de notre époque proverbialement polarisée, Daniel Lemire continue d’y arriver. On ne peut plus rien dire, répète-t-on pourtant ad nauseam dans certains cercles au sujet du racornissement de la liberté de parole des artistes. « Ça m’apparaît nettement exagéré comme lecture de la situation », réplique-t-il.

Le plus grand problème auquel Daniel Lemire fait face quand vient le temps de pondre des gags ? « C’est que beaucoup de gens n’écoutent plus les nouvelles, parce qu’ils trouvent ça trop déprimant. » Et ce, sans compter que même si l’année 2023 n’a pas inventé le drame, « il faut maintenant travailler très fort pour aller chercher des éléments comiques » dans des évènements anxiogènes comme les incendies de forêt de l’été dernier.

Observateur fasciné (et souvent incrédule) de la société étatsunienne, le créateur d’Yvon Travailler et de Ronnie Dubé s’inquiète par ailleurs de l’influence des animateurs d’extrême droite sur la vie politique de nos voisins du dessous, tout en se réjouissant que le Québec ne cède pas massivement à ce vent fétide.

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Daniel Lemire

On est très différents des Américains, mais il faut être vigilants, parce que ces animateurs-là profitent de la colère des gens, par rapport à plein de fausses cibles, comme les musulmans ou les transgenres. Ça peut déraper rapidement.

Daniel Lemire

Pour une dernière fois

Cette tournée, Daniel Lemire l’envisage comme sa dernière, sans jurer que ce sera le cas, en tentant de s’arrimer minimalement aux pratiques ayant cours dans son milieu, bien que jusqu’à un certain point. Il a ainsi présenté une quarantaine de dates de rodage de ce spectacle, alors qu’à ses débuts, des répétitions en salle faisaient amplement le travail.

Monter sur la scène du Bordel ? Il a rendu visite au cabaret comique de la rue Ontario à quelques occasions. « Mais je me sentais comme le mononcle qui va danser du gogo avec les jeunes à Noël », raconte-t-il en éclatant de rire.

Né à Drummondville en 1955, Daniel Lemire se souvient que ses parents, des ouvriers d’usine qui avaient dû abandonner l’école trop tôt, « n’en revenaient pas [qu’il] fasse du spectacle et [qu’il] devienne connu ». « C’était tellement loin de leur univers. »

« Et tu vois, mon père, où il a allumé, c’est quand j’ai fait un numéro avec Jean Lapointe [en 1993 à Juste pour rire]. Pour lui, les Jérolas, c’était des idoles. Dans ses yeux, ça m’avait enfin consacré. » Que demander de plus ?

Le 3 octobre à la Cinquième Salle de la Place des Arts et en tournée partout au Québec

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