« Ça, Dominic, c’est toutte vrai », s’exclame Véronique Cloutier à votre journaliste, assis à ses côtés au fond de la petite salle Fenplast.

Nous sommes à Longueuil, le 26 avril dernier, pour la deuxième date de rodage du premier spectacle en solo de son mari, qui en est alors, sous les projecteurs, à raconter une nuit particulièrement douloureuse durant laquelle il a dû demander à sa femme de l’aider à remettre en place son épaule qui se déboîte tout le temps, une anecdote de plus en plus humiliante au moment où l’histoire se transporte sur une… cuvette de toilette.

Longtemps, Louis Morissette s’est répété qu’il dormirait quand il serait mort. Mais un jour, un médecin lui a annoncé que l’ouïe de son oreille gauche, dont il n’entend plus rien, ne reviendrait probablement jamais. Pire : s’il continuait de rouler à tombeau ouvert, il risquait de perdre l’ouïe du côté droit, un drame pour quiconque et, a fortiori, pour qui fait carrière dans le monde des communications. Conclusion : s’il ne voulait pas dormir pour toujours, il avait intérêt à s’offrir une longue sieste.

Par-delà les controverses sur lesquelles il revient durant Sous pression, voilà sans doute ce que ce spectacle a de plus déconcertant, voire troublant : à quel point l’humoriste s’est entêté à ne pas écouter son corps, criblé de lancinants bobos (dont un cas aigu de bruxisme) symptomatiques d’une incapacité phénoménale à ne pas tout le temps travailler, travailler, travailler.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Louis Morissette

« C’est sûr que le handicap de ma sœur [Eve, qui vit avec la paralysie cérébrale] a tout de suite contribué à ce que je voie le repos comme une faiblesse, parce que j’ai toujours été conscient du privilège que j’avais de marcher », confie le Drummondvillois dans son bureau, chez KOTV, la boîte de production télé qu’il a fondée en 2011.

Au mur : une grande photo en noir et blanc de sa femme et de ses trois enfants, des souvenirs de football et une affiche soulignant les 250 000 billets vendus des Morissette, la populaire tournée ayant parcouru la province de 2014 à 2019.

C’est à la suite de l’annulation de la tournée des Morissette II, annoncée avant la pandémie puis reportée et reportée, que Véronique Cloutier a suggéré à son amoureux d’enfin cocher le vieux rêve d’un spectacle solo, qu’il trimballe depuis sa sortie de l’École nationale de l’humour en 1996.

Le diplômé en marketing et commerce international de l’Université McGill s’y était inscrit comme d’autres partent en voyage en Europe, question de se payer une dernière folie avant d’entrer dans le sacerdoce de la vie adulte. Ou, dans son cas, avant de reprendre les rênes de l’entreprise de son père, Venmar Ventilation. Ce qui, au bout du compte, ne s’est jamais produit, l’appel des rires étant plus fort que tout.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Louis Morissette

De l’orgueil dans des runnings

En 2010, Louis Morissette s’était déjà risqué à quelques tentatives de numéros, seul au micro, lors de diverses soirées d’humour, dans des bars où l’accompagnait sa femme, dont la « sagesse » et la franchise, dit-il, lui ont toujours été salutaires. « Mais les deux ou trois essais qu’il a faits n’apportaient rien de particulier au paysage de l’humour, se souvient-elle en entrevue. C’était du stand-up pour faire du stand-up, ce n’était pas incarné. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Véronique Cloutier

Un reproche qu’il serait difficile d’adresser à Sous pression, un spectacle qu’aucun autre humoriste ne pourrait présenter, dans la mesure où aucun autre humoriste ne partage son quotidien avec une des animatrices les plus célèbres au Québec et qu’aucun autre humoriste n’est en guerre avec le patron de Québecor. Tel est le pari téméraire de cette mise à nu, dans laquelle Morissette aspire à toucher à l’universel en ne gommant rien de ce que sa vie a de pas universel du tout.

Rappel : en 2003, Louis Morissette signe pour Ceci n’est pas un bye bye un sketch inspiré d’Un homme et son péché, transposant le couple Pierre Karl Péladeau et Julie Snyder dans les costumes de Séraphin Poudrier et de Donalda. Une parodie que le magnat de la presse avait accueillie avec très peu d’autodérision.

Début 2004, le mec comique apprenait dans la foulée que l’animation de la téléréalité de TVA Pour le meilleur et pour le pire lui était retirée. Près de 20 ans plus tard, le conflit entre Pierre Karl Péladeau et Louis Morissette, bien que moins véhément, n’a toujours pas trouvé de résolution et KOTV n’a jamais encore collaboré avec une branche de Québecor.

Louis Morissette en veut-il encore à PKP ? « Je ne sais pas si je lui en veux, mais c’est sûr que je suis orgueilleux. Véro m’a souvent dit que je suis de l’orgueil dans des runnings. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Louis Morissette

En fait, je ne peux pas dire que je lui en veux, parce qu’il est allé chercher le meilleur de moi. Il continue de venir chercher le meilleur de moi. Si j’ai réussi à monter avec mon équipe une entreprise saine et prospère comme KO, c’est grâce à lui. Sans lui, je ne sais pas si j’aurais eu le même feu.

Louis Morissette

Le producteur reconnaît avoir négocié les chapitres nombreux de ce conflit avec arrogance – il ne se prive pas d’en remettre une couche dans son spectacle –, mais espère néanmoins une détente. « J’ai appelé à son bureau [situé à quelques coins de rue du sien, au centre-ville de Montréal], j’ai dit à son équipe que n’importe quand, s’il a un rendez-vous d’annulé, un trou en fin de journée, j’aimerais ça qu’on se parle comme des messieurs. Mais on m’a dit : “Oublie ça, il ne veut pas te voir.” »

Tu y irais pour vrai, Louis ? « J’irais certain. La vie est trop courte. »

Courir comme des cons

Louis Morissette évoque aussi dans Sous pression l’échec stratosphérique de son émission VIP et le feuilleton médiatique provoqué par le Bye bye 2008. Et même s’il est difficile de ne pas conclure à l’acharnement en voyant défiler sur un écran géant les pages frontispices du Journal de Montréal accusant le couple de tous les torts, certains des sketches de cette édition du rendez-vous de fin d’année étaient indéniablement d’un goût douteux, ce qu’ont d’ailleurs admis leurs créateurs.

N’y a-t-il pas un risque à rouvrir ces dossiers classés ?

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Louis Morissette

Probablement, mais la réponse, c’est que je m’en sacre, parce que c’est l’ADN de ce que j’avais envie de faire, d’être dans la vérité, d’essayer de comprendre pourquoi je me sens comme ça aujourd’hui, et je ne pouvais pas le faire sans parler de ces moments charnières de mon parcours.

Louis Morissette

Mais, insiste Morissette, quiconque peut reconnaître ses propres revers dans ces évènements qui n’arrivent pas à tout le monde. « C’est pour ça que j’ai peur que beaucoup des entrevues que je donne mettent l’accent sur le fait que je parle de ma vie, alors que dans les faits, je parle de la vie », dit-il.

« Le spectacle, c’est moi qui me demande pourquoi on court tout le temps comme des cons. C’est-tu vraiment pour nous autres ou, dans mon cas, pour montrer que je ne suis pas juste le chum de, montrer à mon père que je n’avais pas tort de suivre mon plan à moi, montrer que j’avais ma place ? »

Consultez ses dates de spectacle