En théorie, l’idée séduit. Une seule plateforme numérique qui hébergerait les émissions de Noovo, Radio-Canada et TVA. Un Netflix québécois, quoi, avec un seul abonnement pour piger dans le buffet de séries d’ici.

En pratique, ce Netflix québécois ne se concrétisera jamais. C’est impossible à réaliser. Pourquoi ? D’abord parce que nos empires médiatiques s’atomisent actuellement à coups de bazooka, sans possibilité de trêve humanitaire. L’un retire Vrak et Z de son bouquet de chaînes, l’autre réplique en bannissant Yoopa. L’un fustige le diffuseur public toutes les trois minutes, l’autre retire l’accès à la vidéo sur demande des émissions de son concurrent. Tout ce beau monde se collette régulièrement devant les tribunaux. Et Vrak et Yoopa ont été enterrées au cimetière des décédés, bref, ça joue très dur.

Il y a trop d’acrimonie, de rancœur et de tensions entre les grands joueurs de la télé au Québec. Les asseoir à la même table pour négocier un partenariat d’affaires très compliqué relèverait d’un miracle plus grand que celui de la 34e Rue.

Dans le milieu, à peu près personne n’y croit : « Radio-Canada, Noovo ou TVA ne voudront jamais mettre leur meilleur contenu sur un Netflix québécois. Ils le garderaient pour leurs propres plateformes », résume une source qui n’est pas autorisée à parler publiquement de stratégie d’entreprise.

Car la création d’un Netflix québécois ne signifierait pas la mise à mort de l’Extra de Tou.tv, de Club illico ou de Crave. Toutes ces plateformes coexisteraient avec le Netflix québécois et forceraient le client, déjà submergé par les offres, à dégainer encore sa carte de crédit, et ça suffit.

La France a récemment tenté l’expérience d’une plateforme « de streaming » unique, pour contrer la montée de Netflix et Disney+, et le résultat a été catastrophique. Ce projet, baptisé Salto, a été mis en orbite en octobre 2020, après des années de discussions ardues. Salto coûtait une dizaine de dollars par mois et proposait les émissions de ses trois actionnaires TF1 (l’équivalent de TVA), M6 (plus proche de Noovo) et de France Télévisions (le diffuseur public, comme Radio-Canada).

Sur papier, ça paraît génial. Comme si Noovo, TVA et Radio-Canada s’unissaient pour faciliter notre vie de téléspectateur. Une alliance commerciale entre les trois plus grands acteurs de l’audiovisuel. Un seul endroit, toute la télé !

Mais non. Comme prévu, TF1, M6 et France Télévisions ont conservé les gros morceaux pour leurs propres plateformes maison, reléguant Salto à un outil de rattrapage avec de trop rares exclusivités. À quoi bon y souscrire, alors ?

Puis, une fusion avortée entre TF1 et M6 a morpionné la direction de la nouvelle entreprise, des opérateurs internet dont Orange ont refusé de distribuer Salto, le bureau de la concurrence a mis des bâtons dans les roues du projet et les trois antennes impliquées dans Salto ont chacune tiré la couverture très fort de leur bord (prévisible !).

Après un peu plus de deux ans d’activité, merci bonsoir, Salto a été débranchée. Date de fermeture : 27 mars 2023. TF1, M6 et France Télévisions sont alors rentrées à la maison avec leur catalogue sous le bras et des dizaines de millions d’euros de dettes.

Pendant que Salto agonisait, c’est le service américain Netflix qui a catapulté au firmament la série française la plus populaire, soit Lupin. Ç’aurait dû être le rôle de Salto – et non de Netflix – de « faire rayonner la culture française et européenne ».

Encore moins logique : ce qui a cartonné sur Salto, c’est la réunion de Friends, la réunion des acteurs des films Harry Potter, la minisérie Small Axe de Steve McQueen et And Just Like That. Pas très french, disons, comme programmation.

Je ne vois pas comment pourrait opérer un Netflix québécois sans causer de frictions. Prenons l’exemple de La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé. Bien sûr que Club illico l’aurait présentée en primeur, c’est évident. Mais une fois la série déposée sur le Netflix québécois, qui aurait empoché les revenus publicitaires ? Le diffuseur ? Les producteurs Xavier Dolan et Nancy Grant ? Les chaînes associées dans le Netflix québécois ? Et dans quelle proportion ? C’est un casse-tête financier impossible à assembler.

Il ne faut pas oublier, non plus, que Québecor et Bell Média détiennent des participations dans des boîtes de production indépendante comme Pixcom (Indéfendable, Alertes), Déferlantes (Chanteurs masqués, La voix) et Sphère Média (Aller simple, Cerebrum), ce qui rajoute une couche de complexité à notre dossier, déjà bien garni de liens stratégiques et d’animosité.

Le Netflix québécois ne peut marcher que s’il est imposé et chapeauté par le gouvernement, croit Denis Dubois, ancien cadre chez Québecor et spécialiste en développement, production et diffusion télévisuelle.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Denis Dubois

Nous n’aurons jamais assez de contenus en français pour justifier l’existence des trois plateformes numériques payantes au Québec.

Denis Dubois, spécialiste en développement, production et diffusion télévisuelle

Plusieurs sources à qui j’ai parlé dernièrement craignent cependant que le Netflix québécois se transforme en Panier Bleu, qui n’a pas été la réussite du siècle, soyons honnête.

Toujours dans l’idée d’encourager la culture québécoise, une réflexion intéressante circule actuellement en coulisses : pourquoi ne pas bricoler des offres groupées – les fameux « bundles » – pour Club illico, l’Extra de Tou.tv et Crave ?

Du genre, vous payez 20 $ ou 25 $ par mois et vous pouvez fouiller dans ces trois services, sans publicité, avec toutes les exclusivités. À la veille du Vendredi fou, voilà une idée pas folle du tout, qui met plus d’argent dans nos poches et dans notre marché.