Je me rappellerai toujours le soir du 25 mai dernier. En sortant d’une pièce de théâtre, le message grave d’un ami sur ma boîte vocale : « La Chapelle historique du Bon-Pasteur est en feu, je pense à toi, au clavecin que tu aimes tellement ».

Un clavecin Kirckman de 1772, confié à la Ville de Montréal il y a 30 ans par la Fondation Gordon Jeffery, à la mémoire du collectionneur qui avait acquis cet instrument anglais rare peu avant sa mort. On évoque parfois l’idée que Mozart aurait pu le croiser pendant sa courte et flamboyante carrière.

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Ce soir du 25 mai, croyant qu’il avait brûlé, j’ai eu l’impression qu’on avait failli à un devoir de préservation.

Heureusement, l’instrument s’en est tiré quasi indemne, tout comme le magnifique piano Fazioli : on pourra même les entendre tous deux ce mercredi, au lancement de la programmation « hors les murs » de la Chapelle historique du Bon-Pasteur, au Centre canadien d’architecture.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le clavecin est sorti quasi indemne de l’incendie.

Mais l’édifice patrimonial est en piteux état : les résidants des logements sociaux ainsi que plusieurs organismes abrités par l’ancien monastère ont dû trouver refuge ailleurs.

La Chapelle elle-même est à reconstruire, ravagée par l’eau.

Simon Blanchet, agent culturel et capitaine de cette salle de concert unique en son genre, dresse l’état des lieux : « Perdus, les tout nouveaux équipements techniques, les archives, certaines œuvres d’art. On achève de démolir les espaces intérieurs et de solidifier la structure patrimoniale, pour que l’humidité disparaisse avant l’hiver et que le gel ne fasse pas craquer les vieux murs historiques. »

  • L’incendie survenu en mai a ravagé une bonne partie de l’édifice patrimonial.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

    L’incendie survenu en mai a ravagé une bonne partie de l’édifice patrimonial.

  • L’incendie survenu en mai a ravagé une bonne partie de l’édifice patrimonial.

    PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

    L’incendie survenu en mai a ravagé une bonne partie de l’édifice patrimonial.

  • L’incendie survenu en mai a ravagé une bonne partie de l’édifice patrimonial.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

    L’incendie survenu en mai a ravagé une bonne partie de l’édifice patrimonial.

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Pour lui, l’incendie représente un choc professionnel et émotionnel. « C’est un projet que je porte personnellement depuis dix ans, mais j’en rêvais depuis toujours ! Tout ce que je valorise est réuni dans la mission de la Chapelle. Comme on fait partie du réseau des Maisons de la culture, la gratuité est un atout majeur : ça permet d’en faire un tremplin pour les jeunes artistes professionnels, un lieu où les musiciens établis viennent prendre des risques, tout ça devant un public fidèle et nombreux. »

Je mentionne à Simon Blanchet que tous les musiciens aiment jouer à la Chapelle : on a un peu l’impression de rentrer dans une maison amie. « Oui, les artistes établis aiment y revenir, parce qu’ils sont reconnaissants. Marc-André Hamelin a inauguré la Chapelle en septembre 1988, mais il est revenu souvent après être devenu une star internationale. Le violoncelliste Stéphane Tétreault me faisait remarquer qu’il y joue depuis l’âge de 10 ans ! Nos gagnants montréalais du concours Chopin de Varsovie, Charles Richard-Hamelin et Bruce Liu, y avaient tous deux donné leurs concerts préparatoires : tout ça crée beaucoup d’attachement. »

La Chapelle joue aussi un rôle d’incubateur : elle est offerte gratuitement à de jeunes artistes pour des captations vidéo, devenues indispensables pour certaines auditions ou pour accéder aux grands concours internationaux. Ses musiciens en résidence, choisis par un jury, peuvent y répéter et donner cinq concerts pour lesquels ils ont carte blanche.

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Simon Blanchet, agent culturel pour la Chapelle du Bon-Pasteur, avec le piano et le clavecin qui étaient dans la Chapelle

Le lieu est parfois loué pour des évènements privés : les revenus de location sont alors versés dans le compte d’une fondation qui rend possibles, entre autres, les activités des artistes en résidence.

Si on en parle encore au présent, c’est que l’importance de ce pôle de la vie musicale montréalaise a heureusement été reconnue dès le lendemain de l’incendie, et Simon Blanchet s’en réjouit : « Valérie Beaulieu, la directrice du service de la culture, a affirmé qu’il fallait garder l’esprit de la Chapelle en vie. Notre programmation était prête, il fallait un lieu pour honorer les contrats. »

Les critères mis sur la table ? « Il fallait rester en ville. On a visité plusieurs lieux, de nombreuses chapelles, mais il y avait souvent des problèmes d’acoustique ou d’horaire ; il fallait un lieu assez disponible pour éviter l’itinérance, créer une nouvelle habitude pour le public. »

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La salle Paul-Desmarais du Centre canadien d’architecture.

Ce mercredi matin, les médias ont donc rendez-vous à la salle Paul-Desmarais du Centre canadien d’architecture pour découvrir cette programmation 2023-2024, dans le lieu même qui l’accueillera. C’est la pianiste Olga Kudriakova qui jouera sur le piano Fazioli pour l’occasion, un prélude au concert inaugural qui lancera la saison dimanche prochain. La musicienne d’origine ukrainienne sera de retour le 29 novembre pour présenter un récital à deux pianos avec son mari, le pianiste russe Maxim Shatalkin. Le couple, qui vivait à Moscou, s’est réfugié à Montréal quelques mois après l’invasion russe en Ukraine, particulièrement odieuse pour eux.

Autre concert à signaler, parmi les quelque 25 offerts cet automne, un récital présenté le 5 novembre par la soprano innue Élizabeth St-Gelais, Révélation de Radio-Canada 2023.

Envers et contre tout, la Chapelle poursuit donc sa mission. Je demande à Simon Blanchet quel échéancier il imagine pour réintégrer le bel édifice de la rue Sherbrooke, en se protégeant de trop d’impatience : « Cinq ans, mais je ne sais pas si c’est réaliste. »

Pour tous ceux qui aiment la musique, il faudra de la solidarité dans la durée, note à nous-même.

Le lustre emblématique est sauvé, le clocher sera restauré, plusieurs éléments architecturaux ont été enlevés et entreposés : les vitraux, des moulures, les portes. Ils attendront leur retour, mais entre-temps, la musique vivra.

Ici Musique diffuse ce mercredi soir à 20 h le dernier enregistrement réalisé par Radio-Canada à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, deux semaines avant l’incendie. Cette émission spéciale, la 1000e de Toute une musique, réunit plusieurs des Révélations de Radio-Canada.

Consultez la programmation complète