Dans les années 1990, un orchestre pouvait vendre un concert tout simplement en énumérant les œuvres et les artistes au programme. Il y avait encore un bassin suffisant de gens qui possédaient les connaissances de base leur permettant de lire ces informations, d’anticiper l’expérience qui les attendait… et d’acheter un billet.

Pour le meilleur et pour le pire, la réalité actuelle est complètement différente.

Pour le pire, ou du moins le plus exigeant, car le milieu musical doit communiquer autrement, et doit constamment réinventer cette communication pour un public moins stable.

Pour le meilleur, car il n’y a plus ce filtre élitiste qui était posé d’emblée autrefois : « Si cette liste d’œuvres et d’artistes ne vous dit rien, passez votre chemin ! »

En regardant les diverses expériences proposées gratuitement par l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) dans le cadre de sa dixième Virée classique, on est vraiment loin de l’élitisme, et c’est réjouissant : on nous offre de fréquenter de près les musiciens de l’OSM et leurs instruments dans un speed dating informel, de devenir chef dans une expérience de réalité virtuelle, de nous initier à l’art-thérapie, de participer à un Drumline ou de dessiner en musique. Le message est clair : « Vous n’y connaissez rien ? Pas grave, plongez avec nous ! »

On ne veut pas le savoir, on veut le vivre : l’apprentissage expérientiel s’est installé partout, dans les universités autant que dans le monde culinaire et dans le monde du vin. Sur le plateau de l’émission Curieux Bégin, j’ai récemment eu l’occasion d’en causer avec la sommelière de l’émission, Michelle Bouffard, découvrant au passage qu’elle a une formation complète en trompette classique.

Nous avons repris cette conversation pour comparer le monde du vin et celui de la musique de concert. Michelle Bouffard s’exclame d’emblée : « Il y a tellement de parallèles entre ces deux univers ! Autrefois, ces pratiques étaient toujours associées à des milieux bien nantis. On naissait – ou pas – dans un milieu qui en favorise l’accès, ça faisait partie d’une culture familiale… qui venait souvent avec un certain snobisme : on se donnait un statut en fréquentant l’orchestre ou en achetant de grandes bouteilles. Dans les deux cas, le décorum créé par une élite était incontournable. Je venais d’un milieu modeste, sans musiciens, mais dès l’âge de 4 ans, je voulais un piano, ce qui était hors de question. À 12 ans, j’ai appris que l’armée prêtait des instruments aux cadets. Il restait une trompette, c’est comme ça que j’ai trouvé mon chemin en musique. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Des spectateurs assistant à un concert de l’OSM sur l’Esplanade du Parc olympique, en 2022

Cet élitisme que Michelle Bouffard a dû déjouer n’existe plus, mais un autre parallèle s’impose dans la situation actuelle du vin et de la musique classique : Michelle constate que de moins en moins de jeunes s’initient au vin, préférant les innombrables déclinaisons des cocktails et l’offre des microbrasseries qui ont su renouveler leur image. « Ce qui intéresse les jeunes dans le vin, c’est le prosecco ou le rosé, qui vont avec un style de vie YOLO, festif, au présent : on est loin de se projeter dans les vins qui mûrissent avec le temps. Certains sont aussi attirés par les vins nature, ayant l’impression d’y reconnaître des valeurs importantes pour eux : l’authenticité, le respect de la nature et de la santé humaine. Quand on connaît peu de choses sur le vin, les vins nature sont faciles à reconnaître par leurs étiquettes funky, et par leurs goûts, parfois funky aussi », ajoute la sommelière avec une pointe d’humour.

Je lui fais remarquer que la musique de Stravinsky, avec ses couleurs flamboyantes et ses contrastes marqués, va captiver plus facilement les jeunes auditeurs qu’une symphonie de Mozart, qui semble pourtant plus facile d’accès.

Quand on veut initier des gens au vin comme à la musique, il ne faut pas avoir peur de choisir des repères clairs, selon Michelle Bouffard : « Comparer trois pinots noirs, c’est beaucoup plus difficile que de proposer un gamay et un cabernet sauvignon pour initier quelqu’un à la dégustation. » Je renchéris en suggérant que de comparer trois symphonies de Haydn est beaucoup plus difficile que d’écouter du Vivaldi puis du Chopin, pour apprivoiser des styles différents.

L’interaction est essentielle pour aider une personne à découvrir ce qui va lui plaire, et l’intermédiaire a un grand rôle à jouer, selon la sommelière : « Il faut adapter notre vocabulaire : la terminologie classique basée sur des références aromatiques très pointues ne passe plus. Ça prend des images plus visuelles, on parlera par exemple d’un vin plus anguleux ou plus rond. »

Elle a récemment vu Yannick Nézet-Séguin diriger et animer un concert au Festival des arts de Saint-Sauveur. « Pas de décorum lourd, pas de termes techniques : il parlait spontanément à un public de tous les âges, comme un bon sommelier présente les vins au restaurant, rendant accessibles le connu et le moins connu. L’histoire est primordiale, on ne déguste plus comme avant, on n’écoute plus la musique de concert comme avant. »

Michelle Bouffard précise qu’avec un talent de communication, on peut cependant redonner le goût de fréquenter les grands classiques : « La sommelière française Pascaline Lepeltier, qui travaille à New York, peut créer un nouvel engouement en parlant d’un très classique Château le Puy sur Instagram. Ce vin est tout sauf branché, mais si elle met de l’avant la pureté de son élaboration, basée sur les mêmes principes naturels depuis 15 générations, il rejoint soudain les valeurs de gens plus jeunes. »

Michelle Bouffard souligne que le but est toujours le même : donner le goût d’en écouter plus, d’en goûter d’autres, de poursuivre la découverte. « J’aime voir le début d’un parcours. »

La Virée classique se tient du 16 au 20 août.

La Virée classique en trois choix

Les deux représentations de Carmina Burana étant complètes, vous pouvez miser sur le concert Créatures fantastiques pour goûter pleinement la force de l’orchestre, la palette entière de ses couleurs, avec des œuvres qui entrent dans la catégorie « cinéma pour l’oreille ». Le samedi 19 août à 11 h 30, à partir de 17 $.

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Le choix de Michelle Bouffard : la trompette à l’honneur dans un concerto récent du grand jazzman et virtuose Wynton Marsalis. Là aussi un programme court à prix amical, le samedi 19 août à 13 h 15.

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Notre choix commun : l’ensemble de la programmation gratuite ! Il y en a pour toutes les personnalités et pour tous les âges. Il suffit de consulter la programmation.

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