L’histoire de cette enseignante américaine qui a été forcée de démissionner parce qu’elle a montré une photo du David de Michel-Ange à ses élèves de 6e année me fascine autant qu’elle me désespère.

Pour ceux qui auraient raté cette affaire de zizi, rappelons que Hope Carrasquilla, également directrice de la Classical School de Tallahassee, en Floride, a montré une image de la célèbre statue à ses élèves âgés de 11 et 12 ans dans le cadre d’un cours d’histoire de l’art.

Si la grande majorité des parents n’y ont vu aucun problème, quelques-uns sont montés au créneau. Ils ont jugé l’image « pornographique ». Vous avez bien lu. Précisons que cette œuvre de la Renaissance italienne représente le personnage biblique de David qui se prépare à affronter Goliath « armé de sa foi en Dieu ».

Résultat : Mme Carrasquilla a été invitée à faire ses boîtes. Le président du comité des parents, Barney Bishop, défend la position des parents puritains en disant qu’il existe un règlement qui prévoit que ceux-ci doivent être avisés de ce genre d’initiative. L’éconduite a reconnu qu’elle ne suivait « pas toujours la procédure ».

Le maire de Florence, Dario Nardella, a réagi sur Twitter et écrit que « confondre l’art avec la pornographie est tout simplement ridicule ». Cecilie Hollberg, directrice de la Galleria dell’Accademia, où se trouve le David, a déploré « l’esprit tordu » des « ignorants » lors d’une entrevue au Globe and Mail.

En fait, ces parents sont plus qu’ignorants. Ce sont des gens qui vivent dans leur propre monde et qui sont incapables de bien jouer leur rôle de parent. Les garçons qui ont vu cette image n’ont sans doute pas eu de surprise (du moins, je l’espère). Pour certaines fillettes, c’était peut-être une découverte.

Et puis après ? Vont-elles en faire de cauchemars ? Seront-elles contraintes de suivre une thérapie ? Au pire, elles seront tentées de poser des questions à leurs parents. Nous voilà donc au cœur de cette affaire : ces parents sont incapables d’avoir une discussion franche et saine sur le sujet.

La pornographie, la vraie, est maintenant partout sur le web. Plusieurs études récentes montrent que de 25 % à 50 % des adolescents de 13 à 17 ans ont vu volontairement ou par inadvertance de la pornographie.

La question à soumettre à ces parents qui ont joué les vierges offensées est : préfèrent-ils que leur enfant soit exposé à des images de domination, de performances extrêmes, de pénis et de seins aux formes démesurées et d’actes sexuels misogynes ou à la photo du David de Michel-Ange (doté d’un sexe qui, il faut se le dire, n’a rien d’impressionnant) ?

Ces parents, que je soupçonne d’être des supporteurs du gouverneur Ron DeSantis, s’en prennent à l’art, car c’est le dernier terrain sur lequel ils peuvent se battre. Ils ont perdu la bataille du web, des réseaux sociaux et du marketing. Il faut bien qu’ils s’en prennent à quelque chose.

Ce sont les mêmes qui s’activent pour interdire certains ouvrages dans les bibliothèques. Des groupes, comme les Moms for Liberty, prennent leur rôle très au sérieux. Équipées d’une loupe, les membres traquent les moindres traces d’homosexualité, de pornographie ou de théories sur l’origine de la race qui ne cadrent pas avec la leur.

L’histoire du David rappelle celle de l’auteure québécoise Élise Gravel dont le livre Le rose, le bleu et toi ! (Pink, Blue and You !) qui aborde les stéréotypes de genres est interdit dans certains États. Ce n’est pas la première fois qu’Élise Gravel a droit à ce traitement : en 2018, son ouvrage La tribu qui pue, qui comporte des dessins d’enfants nus qui n’ont rien de suggestif, a été refusé par des éditeurs américains.

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO

Élise Gravel et son livre Le rose, le bleu et toi !

Il serait trop facile de viser uniquement les Américains conservateurs dans ces cas de pruderies hypocrites. En 2016, lors d’une collecte de sang dans une mairie de Toulouse, on a recouvert les sexes des statues de feuilles de vigne. Quelques mois plus tôt, une mise en scène loufoque a été organisée à Rome lors de la visite du président iranien Hassan Rohani. Les autorités italiennes ont caché des statues nues à l’aide de panneaux.

Et il ne faudrait pas croire que nous sommes à l’abri de cette forme d’ascétisme. De 2015 à 2017, un cas similaire a eu lieu au Musée canadien pour les droits de la personne, à Winnipeg. Des directions d’écoles ont demandé que leurs élèves ne soient pas exposés à certains contenus lors des visites.

Des établissements ont spécifiquement exigé que le contenu relatif aux droits des LGBTQ+, des femmes ou à l’avortement ne soit pas montré ou abordé. Ce passe-droit a cessé en 2017 après qu’une plainte d’un employé, contraint de cacher le contenu d’une exposition avec son corps, eut été déposée.

Quand on plonge dans l’histoire de l’art, on découvre que d’autres avant nous ont émasculé les statues à coups de pic. Sur les toiles, on a dissimulé les sexes derrière des voiles ou des feuilles de vigne. Aujourd’hui, c’est la même morale qui empêche les enfants d’aller à la rencontre de l’art.

On utilise le pic de la censure pour y parvenir.

Cinq siècles après avoir été sculpté dans le marbre par Michel-Ange, David affronte de nouveau Goliath. Pauvre lui !

P.-S. Pour la petite histoire, rappelons qu’en 1965, au centre commercial Fairview de Pointe-Claire, le propriétaire du magasin Simpsons avait installé trois reproductions grandeur nature de statues célèbres, dont le David de Michel-Ange. Face aux plaintes de plusieurs clients, on a retiré la statue afin de « protéger les enfants ». Ça ne s’invente pas !