Il a fallu trois années de démarches, ainsi qu’une recommandation du barbier Daniel Dahan, de la deuxième saison de Tenir salon, pour que Sophie Fouron perce le mystère des perruquières hassidiques d’Outremont et du Mile End.

L’épisode de Tenir salon qui en résulte, offert gratuitement sur le site web de TV5, est excellent et répond à plusieurs de nos questions sur ces juives ultraorthodoxes qui ne sortent jamais en exposant leur vraie chevelure.

Pendant une demi-heure, qui aurait pu se transformer en documentaire de 90 minutes, l’animatrice Sophie Fouron s’assoit dans la perruquerie de Shelly Shabbat, au coin des avenues du Parc et Bernard, et jase avec cinq de ses clientes, toutes issues de la branche loubavitch du hassidisme, probablement la moins rigoriste de cette religion contraignante.

Alors, les postiches, pourquoi les enfiler tous les jours ? « Les cheveux, c’est comme une attraction pour les hommes. Quand on se marie, on doit couvrir nos cheveux pour que les autres hommes ne les voient pas », explique la designer d’intérieur Chany Lunger.

Ainsi, une femme hassidique ne montre ses vrais cheveux qu’à son mari. Ses propres garçons ne les verront jamais non plus. Rivka Huberman, elle, couvre même sa tignasse naturelle quand elle dort.

Et non, Shelly et ses amies ne se rasent pas la tête au complet comme dans la percutante minisérie Unorthodox de Netflix, qui dérive du livre du même nom de Deborah Feldman. Certaines communautés plus strictes, dont les Satmar, imposent le rasage intégral pour éviter que des mèches s’échappent de la perruque, ce qui contreviendrait aux règles de modestie imposées aux femmes hassidiques.

Les plus pieuses déposeront également un foulard ou un chapeau sur la postiche pour s’assurer qu’aucun poil ne dépasse. Une double protection, en quelque sorte.

Chez Shelly Shabbat’s Wigs, une perruque de qualité coûte entre 2500 $ et 3500 $ US. Les clientes en possèdent deux ou trois pour commencer leur vie d’épouse, qu’elles alternent selon les occasions (la plus belle se conserve pour le sabbat).

Dans son charmant commerce, Shelly, 53 ans, coupe, coiffe, lave et colore les unités capillaires (merci, Mémoires vives), en plus d’offrir des soins d’esthétique. Elle alimente sa page Instagram. Elle ne vit pas au Moyen Âge, complètement coupée du monde moderne.

À la caméra, les invitées de Sophie Fouron affirment se sentir comme des princesses, comme des « femmes juives mariées ». Vrai, elles ne paraissent pas malheureuses, endoctrinées ou misérables. Elles travaillent toutes à l’extérieur, car ce sont les femmes qui rapportent l’argent au foyer, tandis que leurs conjoints étudient la Torah.

Pour Shelly, Julia, Mazal ou Rivka, la ligne à ne pas franchir se trace au chapitre de la séduction.

Dans leur religion très conservatrice, une femme peut être belle, mais pas attirante. Elle peut être jolie, mais pas attrayante. Leur code vestimentaire se brode autour de la pudeur et de l’humilité, poussées à l’extrême.

Pas question de sauter dans un jean ou un pantalon, pas même pour sortir les poubelles en dix secondes. Seul le bas de pyjama est toléré, mais entre les quatre murs du domicile familial.

Shelly Shabbat admet que ce style vestimentaire peut paraître terne et démodé, mais qu’il s’inscrit dans un but précis, celui de préserver le mariage.

« C’est toi qui protèges l’homme », observe Chany Lunger. Comme vous, j’imagine, j’ai tiqué sur cette phrase. Dans cet univers parallèle, la femme juive se couvre et s’empêche notamment de parler fort en public pour ne pas attirer de regards concupiscents.

C’est confrontant pour toute personne qui a été élevée dans l’égalité des sexes, où l’on apprend aux hommes à contenir leurs pulsions et à ne surtout pas blâmer l’habillement des femmes pour justifier leurs comportements déplacés.

À Montréal, nous côtoyons les communautés hassidiques du Mile End, d’Outremont et de Côte-Saint-Luc sans vraiment les connaître. Un mur religieux et culturel nous sépare de ces hommes à chapeaux et papillotes ainsi que de ces mamans aux jupes longues et de leur ribambelle d’enfants à trottinette.

Curieuse et pertinente, Sophie Fouron s’interroge, elle aussi, sur la non-mixité entre les hassidim et les non-juifs. Leurs enfants peuvent-ils jouer avec les nôtres ? Bien sûr, répondent Shelly et ses copines. Pourrions-nous vous inviter à souper ? relance Sophie Fouron. Ça, c’est plus compliqué.

La communauté loubavitch mange casher. Il faut donc utiliser des ustensiles différents pour la viande et le lait, le porc est interdit et il ne doit pas y avoir d’insectes dans les fruits et légumes, entre autres.

On apprend un tas de choses intéressantes en visionnant Tenir salon, une docusérie sociocapillaire qui joue les vendredis à 20 h sur les ondes de TV5. Les épisodes des deux premières saisons se retrouvent tous sur le site de TV5, c’est franchement bien fait.

PHOTO ALMA KISMIC, TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE TV5

L'émission Tenir salon est animée par Sophie Fouron (au centre)

Pour un autre type de regard sur les hassidim, il y a Ma vie peu orthodoxe (My Unorthodox Life) sur Netflix, une docuréalité qui suit Julia Haart, 51 ans, qui a fui son mari ultraorthodoxe pour devenir présidente de l’agence de mannequins Élite, à New York.

J’ai vu les deux premières saisons – très divertissantes – et Julia Haart, maintenant émancipée, ne s’y gêne pas pour dire tout le mal qu’elle pense de son ancienne religion, qui a été une prison pour elle et ses consœurs.

Oui, les épisodes de type « docusoap » renferment trop de crémage et de bling-bling. Mais ils ouvrent une porte (assez glauque, je dirais) sur ces communautés fermées que nous côtoyons sans vraiment les connaître.

Consultez le site de l’émission