Il y a plusieurs années, alors que j’étais journaliste au feu cahier Actuel, j’avais proposé à mes collègues que l’on fasse un grand dossier qui nous permettrait de répondre à cette vaste question : pourquoi fait-on des enfants ?

Personne n’a mordu à l’hameçon. J’ai rapidement compris que mes collègues, qui avaient tous au moins un enfant (contrairement à moi), n’avaient plus envie de répondre à cette question. Ils avaient passé l’étape où on se la pose. Ou alors, entre l’aréna et les cours de ski, ils n’avaient plus le temps de se la poser.

Pourquoi fait-on des enfants ? Je trouve que c’est l’un des plus grands thèmes existentiels qui soient. Surtout aujourd’hui, alors que notre planète est de plus en plus maltraitée.

Cette question m’a habité durant la lecture du dernier roman de Mathieu Latour, Mixtes toujours. J’aime beaucoup cet auteur qui n’a pas toute l’attention qu’il mériterait. Il y a cinq ans, j’ai écrit tout le bien que je pense de lui lors de la parution de son roman S’effacer.

Dans ce nouvel opus, il aborde la question de l’adoption et de l’homoparentalité, plus précisément de la réalité des couples gais qui adoptent un enfant par l’entremise de la banque mixte qui est au croisement de deux univers, « celui des familles d’accueil, dont la fonction est d’héberger un enfant temporairement, et celui de l’adoption, dont le but ultime est évidemment la création d’un lien de filiation », écrit l’auteur.

Ayant lui-même vécu une expérience d’adoption avec son conjoint, Mathieu Latour décortique en long et en large ce que vivent les hommes et les femmes qui franchissent cette étape.

Les réflexions qui précèdent le premier geste, les rencontres avec les professionnels du centre jeunesse qui nourrissent une foule de doutes, les tests d’évaluation qui dégonflent ton rêve et ébranlent ta confiance, la terrible crainte de voir l’enfant qu’on t’a confié être finalement repris par la mère biologique, tout cela est superbement raconté.

On apprend que 95 % des enfants confiés à une famille d’accueil par l’entremise de la banque mixte y restent et, dans la très grande majorité des cas, peuvent être adoptés. Mais pour 5 % des cas, c’est autre chose.

L’auteur relate la rencontre d’information à laquelle il participe avec une trentaine de couples. « Ça veut dire que le drame de voir l’enfant que vous aimez retourner dans sa famille d’origine, eh bien, il y a au moins un couple parmi vous ce soir qui va le vivre », déclare une intervenante, jetant ainsi un froid dans l’assistance.

À travers une galerie de personnages (au début on est un peu perdu), Mathieu Latour crée un casse-tête dont toutes les pièces se mettront en place à la fin du livre en nous laissant avec beaucoup de réponses, mais aussi des questions sur le sens profond des liens familiaux.

L’une des forces de ce roman est qu’il offre tous les points de vue : ceux des parents, des enfants et des mères biologiques. Il y a d’abord ces deux couples, Kevin et Nicolo, de même que David et Martin. Les deux font appel à la banque mixte pour devenir pères. William entrera dans la vie du premier couple et Logan dans celle du second.

Et puis, il y a Mélissa et Katia, les mères des deux garçons. Sans donner trop de détails, le projet de famille verra le jour pour l’un des couples. Mais pour l’autre, il conduira malheureusement à une impasse.

Au cours de cette histoire, qui s’étend sur une vingtaine d’années, on découvre tous les éléments qui peuvent faire partie d’un projet d’adoption, notamment celui de la quête : le fils qui veut retrouver sa mère biologique, la mère qui veut retrouver son fils et l’ado qui veut retrouver la famille d’accueil qu’il a perdue.

Ce sont ces histoires de recherche de l’autre qui offrent les moments les plus bouleversants du livre.

Certains pourraient accuser l’auteur de véhiculer des clichés. Les mères dans ce roman sont des femmes seules, souvent aux prises avec un problème de dépendance, qui ont multiplié les foyers d’accueil et qui ont connu très jeunes la violence et les agressions sous différentes formes. C’est toutefois la réalité de plusieurs femmes qui doivent confier leur enfant à une famille d’accueil.

Ce récit haletant, qui échappe au jeu de la chronologie classique, est l’une des belles surprises de la rentrée hivernale. Cette histoire, à l’écriture soignée, a la forme d’un scénario de série télévisée. Avis aux producteurs de télé… Si j’étais vous, je mettrais la main sur ce livre au plus vite.

À un moment donné, l’auteur cite une jolie expression qui est utilisée pour désigner le lien entre un parent et son enfant : l’auteur de ses jours ! « Peut-on en dire autant d’un parent adoptif ? Celui-ci ne se compare-t-il pas plutôt à un écrivain qui entreprendrait de compléter une œuvre inachevée ? », écrit Mathieu Latour.

Mais plus loin, il ajoute : « L’adoption, c’est un peu ça. Parfois plusieurs chapitres sont rédigés au préalable, parfois la matière ne se résume qu’à quelques lignes, mais dans tous les cas il s’agit de travailler avec ce qu’on a, pour en faire la plus belle œuvre qui soit. »

La lecture de ce passage est venue répondre en partie à ma fameuse question. On fait des enfants notamment pour dire que nous sommes les auteurs de leurs jours, les écrivains d’une histoire qui est toujours en marche.

Ce livre qui s’écrit tous les jours a été serré très fort par beaucoup de parents au cours des derniers jours. Je les comprends tellement. Ce roman n’a pas le droit de s’arrêter.

Mixtes toujours

Mixtes toujours

Alain Lafrance Éditeur