Pleure-moi une rivière, « cry me a river », dirait-on sur le bord de la Tamise ou dans un spectacle feutré de Diana Krall au Royal Albert Hall de Londres.

Après le visionnement de leur infopub de luxe, pardon, de leur série documentaire sur Netflix, personne n’a le goût de verser une larme sur le « triste » sort de l’actrice Meghan Markle et du prince Harry, ces deux aristocrates qui ont été forcés de vivre en exil, quelle horreur, dans un minuscule palace de Santa Barbara ne valant que 15 millions — ce n’est pas Kensington, quand même — avec leurs deux beaux enfants en santé.

Les deux premiers épisodes de Harry et Meghan, ennuyeux, longs et répétitifs, ressemblent à une Musicographie complaisante sur le duc et la duchesse de Sussex. Il n’y a rien de choquant ou d’explosif dans cette opération royale de relations publiques, qui s’inscrit dans le contrat de plus de 100 millions que le couple a paraphé pour fournir du contenu à Netflix sur une période de cinq ans.

La comédienne de l’excellente série Suits — elle y jouait Rachel Zane — et le rouquin prince rebelle le répètent ad nauseam : il s’agit de leur histoire, de leur version des évènements, et qui de mieux qu’eux pour raconter leur romance digne d’un film hollywoodien ?

Alors, Meg et Haz (autre surnom de Harry : H) ont commencé à se courtiser sur Instagram. En bon français de génération Z, H a « slidé dans les DM » de M, et voilà. Leur premier rancart ? Au club privé Soho House de Londres, où Harry, 38 ans, a fait poireauter sa douce de 41 ans, le petit chenapan !

Ils ont ensuite multiplié les rendez-vous clandestins, dont certains en mission humanitaire au Botswana, hon !, leurs fiançailles ont coïncidé avec le Brexit, Meghan Markle ne connaissait rien du protocole rigide de la monarchie, elle n’a porté que du beige et du brun pour se fondre dans la masse des têtes couronnées, elle a googlé les paroles du God Save the Queen, elle ne savait pas comment exécuter la révérence devant la reine Élisabeth II, vraiment, Meghan est comme vous et moi, finalement !

À la caméra, les nombreuses copines de Meghan, dont la superstar du tennis Serena Williams, la couvrent de compliments : empathique, impliquée, drôle, brillante, c’est extrêmement narcissique comme procédé télévisuel.

Et Meghan a milité, à 11 ans, pour modifier le contenu sexiste d’une pub de savon à vaisselle. Et elle a réussi ! Quelle militante efficace !

À l’opposé, peu d’amis d’enfance de Harry, pas même son grand frère William, apparaissent dans les trois premiers épisodes de la série, en ligne sur Netflix depuis jeudi. Les trois derniers, aussi en français et en anglais, sortiront le 15 décembre.

Le gros morceau de Harry et Meghan concerne la férocité et la mesquinerie de la presse britannique, qui a publié un paquet de mensonges et de calomnies sur Meghan Markle, insinuant même que l’Américaine a grandi dans un quartier mal famé de Los Angeles, peuplé de toxicos et de gangs de rue. Non, Meghan ne sortait pas du ghetto.

Les tabloïds britanniques carnassiers ont surtout insisté sur les origines raciales mixtes de Meghan (sa mère est noire et son père, blanc), de même que sur son statut de divorcée, deux sujets qui enflammaient les médias plus conservateurs de l’Angleterre. Le troisième épisode — le plus intéressant — s’intéresse d’ailleurs au passé esclavagiste et colonialiste du Royaume-Uni.

Le prince Harry s’exprime sur « ses propres biais raciaux inconscients » et passe très vite sur ses frasques de jeunesse et, surtout, sur cet épisode ultra-gênant de sa vie où il s’est déguisé en nazi, avec croix gammée et tout. Il avait 20 ans à l’époque. « C’est sûrement la plus grosse erreur de ma vie », confie-t-il, avant de recentrer son discours sur les paparazzi.

On comprend à 100 % Harry de détester ces vautours de l’information, prêts aux pires bassesses pour arracher un scoop. Toute sa vie, Harry a vu sa mère craindre les paparazzi et en découdre avec ceux-ci, qui ont même provoqué l’accident ayant tué Diana Spencer, la princesse du peuple, dans le tunnel du pont de l’Alma, le 30 août 1997. C’est épouvantable. Les moments où Harry, plus vulnérable et accessible, parle de sa maman Lady Di sont les plus touchants de la série. Ça et les archives familiales de Harry, William, Charles et Diana.

Un autre aspect intéressant de la docusérie concerne le système mis en place — la rota royale — pour que tous les journaux britanniques couvrent officiellement les activités de la Couronne. On en aurait pris davantage.

La fin du troisième épisode culmine avec le mariage des tourtereaux au château de Windsor, une noce entrecoupée de propos fallacieux de la demi-sœur de Meghan, une vraie Javotte, et de son père Thomas Markle, qui a vendu à la presse populaire des photos mises en scène… de lui-même.

Bref, vous n’apprendrez rien de plus croustillant que ce que les époux ont révélé à Oprah Winfrey en mars 2021. À part que Harry a tout sacrifié pour Meghan et que Meghan a tout sacrifié pour Harry. Les deux conjoints autosacrifiés crachent abondamment dans la soupe souveraine qui les nourrit encore, beau paradoxe, et cet élément contradictoire se digère bien mal pour ceux qui n’ont pas ce privilège à 100 millions.