On a dit tellement de choses sur la philanthropie culturelle des Québécois. Entre autres que nous sommes moins généreux que dans le reste du Canada, que nous laissons aux grandes familles milliardaires cette responsabilité ou que nous avons d’autres préoccupations que celui du monde des arts.

Il sera maintenant difficile de faire de telles affirmations, car les choses changent sérieusement.

C’est ce qu’on dira vendredi au cours d’un colloque organisé par HEC Montréal lors du dévoilement d’un rapport très intéressant réalisé par la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux sur lequel j’ai mis la main.

On y apprend que le don privé au monde de la culture ne cesse d’augmenter chez nous. Le total des dons privés (individus, entreprises, fondations) est passé de 12,1 millions en 2015 à 15,7 millions en 2021. Cela représente une augmentation de 4 %, en dépit de la pandémie.

On peut dire qu’une culture du mécénat s’est installée au cours de la dernière décennie.

Si on s’attarde aux chiffres qui concernent uniquement les dons privés provenant d’individus, on découvre que la proportion des contribuables donateurs était de 54 %, en 2018, au Québec (il était de 62 % ailleurs au Canada) et qu’il est passé à 55 % en 2021 (alors qu’il est tombé à 57 % ailleurs au Canada). Le Québec a donc rattrapé la moyenne canadienne.

Le don moyen par individu continue toutefois d’être plus bas au Québec qu’ailleurs au pays : en 2021, les Québécois ont donné en moyenne 381 $ aux organismes caritatifs, alors qu’ailleurs au Canada, le montant atteignait 689 $.

Il semble que les donateurs particuliers affichent un sentiment d’engagement plutôt fort, car si les dons privés provenant de commanditaires ou d’activités-bénéfice ont chuté durant la pandémie, ceux des individus ont été maintenus. De nombreux spectateurs (ce fut le cas à l’Opéra de Montréal) ont même transformé la valeur de leur abonnement en don.

Bref, grâce à cette fidélité des individus et aux interventions des gouvernements qui ont continué d’offrir des subventions tout en apportant une aide aux revenus de billetterie (70 % des revenus sont assurés jusqu’à fin mars 2023 par Québec), les institutions culturelles ont évité la catastrophe durant la crise pandémique.

« De plus en plus de gens à la retraite ont des revenus, observe André Courchesne, professeur à la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux de HEC Montréal. Je pense aux baby-boomers. Ces gens ont envie d’aider le monde des arts. »

Les données qui seront présentées vendredi lors du colloque de HEC Montréal vont sans doute réjouir les observateurs du monde de la culture qui en prendront connaissance. Et vous êtes peut-être en train de vous dire que les choses vont plutôt bien pour madame la marquise.

Mais il y a certaines choses que vous devez quand même savoir quand vous faites un don privé. Vous connaissez probablement le concept du crédit d’impôt qui vous permet de récolter une partie de votre don lorsque vous faites votre déclaration de revenus.

Mais connaissez-vous celui de l’appariement ? Il repose sur des programmes créés par les gouvernements provincial et fédéral qui permettent de bonifier votre don. Longtemps, cet appariement reposait sur le principe du « un pour un » : tu donnais un dollar à un organisme culturel, Québec donnait un dollar et Ottawa un autre de plus.

Mais cet argent que consacrent les deux gouvernements à l’appariement n’est pas sans fond. La somme s’élève à 5 millions au provincial et à 19 millions au fédéral. Or, ces chiffres n’ont pas changé depuis une quinzaine d’années.

Le nerf de la guerre est là. Comme nous sommes plus nombreux à donner, la part que va chercher votre dollar est plus petite. En gros, si vous donnez un dollar aujourd’hui, Québec et Ottawa donneront environ chacun 50 cents.

Ajoutez à cela le fait que Québec a changé les critères pour l’appariement dans le cas des petits organismes. Cela est décourageant pour eux, car ils n’ont pas les moyens et le personnel des Grands Ballets Canadiens ou du Musée des beaux-arts, qui peuvent organiser de grands évènements de collecte de fonds.

« Un facteur multiplicateur plus généreux permettait à de petits organismes de créer des fondations à perpétuité qui généraient des revenus autonomes tous les ans, explique André Courchesne. Cela est devenu très difficile aujourd’hui pour eux de faire ça. »

Ces données sont de bonnes nouvelles, certes. Mais le danger serait de croire que parce que nous devenons plus généreux avec le monde des arts, celui-ci a moins besoin de l’aide du gouvernement.

Nous le voyons bien, outre les subventions de fonctionnement récurrentes, les institutions culturelles doivent aussi pouvoir compter sur le secteur public pour ancrer une véritable culture de la philanthropie afin qu’elle soit durable. Et que nous puissions voir à long terme. C’est ce qui permet à l’art d’avancer.

Colloque sur la philanthropie culturelle, le vendredi 2 décembre de 9 h à 12 h 30, Amphithéâtre Banque Nationale, HEC Montréal

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