Dans ma chronique sur Jean Lapointe, publiée il y a quelques jours, je vous ai parlé de Marcel Lefebvre. Et pour cause, ce parolier a écrit des « mots qui sonnent » bien avant que le métier de parolier soit reconnu par l’industrie de la musique.

J’étais toutefois loin de me douter que ce poète de plusieurs arts (il était également peintre, réalisateur – il a signé trois scénarios, dont celui de Mustang –, concepteur, metteur en scène et auteur de jingles) allait rejoindre celui avec qui il a créé près de 120 chansons.

Il y a quelques mois, un jour d’avril, Marcel Lefebvre m’a accueilli chez lui. Généreux, affable, loquace, il m’a raconté sa vie avec une fierté qu’il n’a pas tenté de dissimuler. Il fut d’abord question de sa mère, une femme qu’il a profondément aimée et qui lui a donné le goût de la musique et de la peinture.

Car jeune, Marcel Lefebvre avait une voix à la Gérard Barbeau (pour les plus jeunes, le petit Gérard fut le René Simard des années 1950 et fut la vedette du film Le Rossignol et les cloches). Sur une guitare achetée chez Eaton pour 14 $, l’adolescent qu’est devenu Marcel commet ses premières chansons. « On voulait tous devenir le prochain Félix Leclerc. »

Mais comme il génère plus de sueur que d’applaudissements lors de ses spectacles, il se dit qu’il devrait plutôt se contenter d’écrire des chansons pour les autres. C’est avec Marc Gélinas qu’il fait ses débuts comme auteur. « Il était un chanteur “événementiel”. Je lui ai donc écrit Les Expos sont là. On voulait déloger le thème américain Take Me Out to the Ball Game. »

Des concepteurs publicitaires lui mettent alors la main au collet. C’est ainsi qu’il crée des hymnes commerciaux qui font aujourd’hui partie de notre imaginaire collectif : Les p’tits puddings Laura Secord, c’est lui. Mon bikini, ma brosse à dents, c’est lui aussi.

On remarque que Marcel Lefebvre maîtrise l’art de couler les mots dans les mélodies (la chanson Le sable et la mer avec Ginette Reno et Jacques Boulanger est un superbe exemple de ça), ce que Stéphane Venne appelle « the money note ». Grâce aux producteurs Yvan Dufresne et Pierre Nolès, il transforme des succès américains en chansons québécoises moyennant 25 $ le texte.

« Mon nom n’apparaissait pas sur le disque, donc je n’avais pas de droits d’auteur. Mais j’aimais tellement ce métier que j’étais prêt à tout », dit celui qui poursuit durant cette période des études en philosophie.

Lors de notre rencontre, il fut longuement question de sa collaboration avec Diane Dufresne. Car avant que Luc Plamondon entre dans la vie de la chanteuse, Marcel Lefebvre est le poète de la « blonde de François Cousineau ». « J’écrivais pour tout le monde, car j’étais le seul maudit parolier à cette époque. »

Avec François Cousineau, Marcel Lefebvre fait Un jour il viendra mon amour, chanson-thème du film L’Initiation, premier succès commercial de Diane Dufresne. « J’ai apporté ce texte à François et je lui ai dit qu’il fallait l’entendre par une femme. Il a ajouté que sa blonde était dans une autre pièce de l’appartement. Elle ne connaissait pas la chanson et l’a chantée divinement. »

Puis, il y aura Il m’aimera, Si j’étais le soleil, Une fleur sur la neige (du film L’amour humain), Les enfants du paradis (du film Sept fois par jour) et tant d’autres.

À la fin de 1971, Luc Plamondon entre dans la vie de Diane Dufresne et François Cousineau. Le trio commence à travailler au disque Tiens-toé ben j’arrive. Avant de s’éloigner discrètement, Marcel Lefebvre laisse le texte de Buzz, l’une des chansons les plus déjantées de ce disque.

Diane savait où elle voulait aller. Elle l’expliquait à Luc, mais pas à moi. Mais n’empêche, je peux dire que j’ai été le premier à déceler sa vraie nature avec Buzz. Il y a un rendez-vous que j’ai raté avec elle et ça m’attriste.

Marcel Lefebvre, en entrevue, en avril dernier

Quand, au milieu des années 1980, Diane Dufresne et Luc Plamondon conviennent d’un divorce professionnel, la chanteuse invite Marcel Lefebvre au restaurant. « Diane est arrivée avec des fleurs. C’était sa façon de me dire qu’elle avait apprécié les années en ma compagnie. »

Au cours de notre conversation, nous sommes évidemment revenus sur le fameux évènement tenu au Stade olympique de Montréal en septembre 1984 lors de la visite du pape Jean-Paul II. Marcel Lefebvre est non seulement l’auteur de la chanson Une colombe, chantée par Céline Dion, mais aussi celui qui a mis en scène ce spectacle grandiose qui a réuni 60 000 jeunes.

« On devait préparer ça durant l’été. Mais l’été, les jeunes sont en vacances. Comment les joindre ? On faisait des annonces dans les radios et dans les cinémas. Je finissais mes présentations en leur disant qu’à la fin de la représentation, ils allaient tous pleurer. »

Les organisateurs réussissent à rassembler près de 4000 jeunes pour exécuter les chorégraphies, dont celle qui doit reconstituer une immense colombe pendant que Céline chante sa chanson. « Le Stade olympique, tu ne peux pas avoir ça tous les jours. On répétait à la Place des Arts, 100 colombes à la fois. »

Marcel Lefebvre m’a confié qu’il n’a jamais pu voir la colombe au complet avant le résultat que l’on connaît. « Quand nous sommes enfin arrivés dans le stade, il s’est mis à pleuvoir sans arrêt. Les fils électriques trempaient dans l’eau. On a répété par morceaux au Vélodrome. »

La journée de l’évènement, Marcel Lefebvre vit le plus grand stress de sa vie (il est entré à l’hôpital le lendemain pour une crise d’angine). « Je me souviens, j’étais en haut du stade avec l’équipe. On me dit que le pape s’en vient. Tout à coup, le soleil sort. On a demandé aux jeunes s’ils voulaient danser pieds nus, car il y avait de l’eau partout. La colombe s’est déployée. Je n’ai jamais shaké comme ça de toute ma vie. Je pleurais, je pleurais… »

J’ai quitté Marcel Lefebvre le cœur léger, car j’avais le sentiment d’avoir rencontré un homme qui a joué un rôle important dans l’histoire de notre chanson. Ce poète discret mérite qu’on s’intéresse à lui. Et à son héritage.

Après ma rencontre avec le gentleman, j’ai mis mes écouteurs et je suis allé à ma playlist « chansons bleues ». J’ai appuyé sur Si j’étais le soleil. La voix de Diane Dufresne s’est fait entendre. La poésie simple et mauve de Marcel Lefebvre a alors fait son œuvre.

C’est à ce moment-là que quelqu’un a dit au printemps que c’était à son tour d’entrer en scène.