Est-ce qu’il y a des adolescents qui échappent à Pink Floyd ? On dirait un passage obligé au début d’une vie de mélomane, car avec 7000 exemplaires de The Dark Side of the Moon vendus chaque semaine encore aujourd’hui, ce groupe mythique n’a jamais cessé de recruter des adeptes.

Je n’y ai pas échappé non plus. À 15 ans, j’usais jusqu’à la destruction les cassettes de Wish You Were Here, The Dark Side of the Moon et The Wall dans mon Walkman. Ce groupe a ouvert les horizons musicaux de tellement de jeunes en pleine puberté que c’en est un cliché. J’ai écouté Pink Floyd jusqu’à l’écœurement au début de la vingtaine, et juste au moment où je commençais à m’en éloigner, mon petit frère, qui a six ans de moins que moi, a plongé à fond dans le même rite initiatique. Son écoute intense et répétée a failli me détourner pour toujours de Pink Floyd, mais il est passé au rap juste après, ce qui a donné une pause à toute la famille.

Pour cette raison, j’ai invité mon frère à la conférence de presse de l’exposition Pink Floyd : Their Mortal Remains, qui vient de commencer à Arsenal art contemporain. Nous avons tellement de souvenirs communs autour de ce groupe que l’occasion était trop belle. Nous avions vu leur dernier show au Stade olympique à Montréal en 1994. Lui avec ses amis, moi avec notre père.

Il faut avoir vécu ça au moins une fois dans sa vie, car Pink Floyd a redéfini les spectacles à grand déploiement, assez pour inspirer une chanson ironique à Mononc’ Serge, Le bad trip du siècle, où il se moque des fans qui se précipitaient au Stade comme des lemmings. Man, y avait des lasers… En 1994, ils ont fait trois soirs et vendu 175 000 billets !

Mon père et moi n’avions jamais expérimenté un spectacle en compagnie de 65 000 personnes, si bien que, dans les premières minutes, situés très haut dans les gradins, nous avions un peu hyperventilé — j’ai failli m’en aller. Mais la magie nous a rattrapés.

Des milliers de briquets étaient allumés (c’était avant les iPhone), et nous avons décollé pour un beau voyage, malgré la mauvaise acoustique légendaire du lieu. Je me souviens encore du visage de mon père, éberlué. Il s’est levé plusieurs fois en murmurant des « tabarnak » admiratifs, et j’ai probablement autant regardé mon père que le spectacle, parce que son émerveillement était un show en soi. De mon côté, je n’ai jamais pu oublier ce moment où je suis tombée en transe avec la foule sur le solo de guitare de Hey You — j’avais l’impression d’être dans une secte.

Après le spectacle, mon père avait acheté un t-shirt à mon frère et il a fallu qu’on tombe sur lui par hasard au milieu de 65 000 personnes, alors qu’il lévitait sur les champignons magiques et l’expérience musicale de ses 15 ans. Je lui ai suggéré de s’en aller le plus vite possible, avant que notre père revienne des toilettes et ne s’en rende compte. Mais papa n’était pas stupide, il l’avait deviné et n’avait rien dit. Il faut que jeunesse se passe et que Pink Floyd se vive…

« Vu ce que tu avais pris, te souviens-tu du show, au moins ? », ai-je demandé à mon frère, pendant qu’on se promenait dans l’exposition. Oui, un des plus beaux moments de son adolescence, me raconte-t-il. Des milliers de jeunes avaient pris d’assaut les autobus de la STCUM pour se rendre au mont Royal, afin de poursuivre le rêve du spectacle, recréant ainsi les happenings de la génération précédente qui, en 1994, disait que Pink Floyd n’était plus ce qu’il avait été.

Encore aujourd’hui, mon frère aime s’endormir sur la musique de la pièce Echoes…

L’exposition Pink Floyd : Their Mortal Remains, qui a été présentée à Londres, en Italie, en Allemagne, en Espagne et aux États-Unis avant d’atterrir à Montréal, est vraiment un cadeau pour les groupies. Avec plus de 350 artefacts — des lettres de Syd Barrett aux guitares électriques et claviers, en passant par les marionnettes et les personnages gonflables de The Wall –, on mesure l’évolution artistique d’un groupe, parfois en dents de scie à cause des conflits connus entre ses membres, qui a révolutionné l’histoire de la musique en mélangeant le théâtre, l’opéra, l’animation, le jazz, le psychédélique, l’électronique et le rock progressif, entre autres choses.

L’impact de Pink Floyd ne serait pas le même sans l’apport du directeur artistique Aubrey « Po » Powell, qui a défini l’univers visuel du groupe, et auquel l’exposition fait une très belle place. Nous avons croisé l’animateur et ex-RBO Richard Z. Sirois, qui avait l’air d’un enfant dans un magasin de bonbons, le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Il avait fait 10 heures de route pour cette conférence de presse où était présent Nick Mason, le batteur de Pink Floyd, qui a signé un de ses albums.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Nick Mason, membre fondateur et batteur du groupe Pink Floyd

D’ailleurs, l’image émouvante que je retiendrai de cette exposition est celle de Nick Mason qui déambulait seul dans une salle, comme un simple visiteur de 78 ans, regardant les preuves de son passé flamboyant.

Mon père aurait son âge aujourd’hui s’il était vivant. Nous ne pensions pas tomber sur Nick Mason pendant notre visite et il a gentiment accepté de poser pour une photo avec mon frère.

Ce sera un souvenir de plus dans notre album familial sur Pink Floyd.

Pink Floyd : Their Mortal Remains, jusqu’au 31 décembre 2022 à Arsenal art contemporain

Consultez le site de l’exposition