C’est flagrant cet automne. Aussi frappant que Véronique Cloutier qui débarquerait dans un cours d’Art et technologie des médias au Cégep de Jonquière.

Deux courants télévisuels, puissants et opposés, se cognent dans nos écrans sans se mélanger. Il y a la télé moderne et audacieuse, qui brasse, secoue et remue. Et il y a la télé conventionnelle et convenue, qui incarne une sorte de stabilité, un point d’ancrage dans notre monde en éternel bouleversement.

Avant le crash de Radio-Canada et Chouchou de Noovo représentent parfaitement la première mouvance, tandis que Pour toi Flora de Radio-Canada et Anna et Arnaud de TVA portent le ballon pour le deuxième groupe.

J’ai revu cette semaine le troisième épisode de Pour toi Flora, que j’avais déjà visionné au printemps. Mon opinion n’a pas changé. Je m’attendais à tellement mieux de cette série sur les pensionnats pour Autochtones qui aurait pu être exceptionnelle avec des textes moins télégraphiés et une réalisation plus sentie.

Tous les drames, petits et gros, sont surlignés au marqueur fluo dans Pour toi Flora. C’est inutile d’insister autant, avec trame historique aussi bouleversante. Également, la narration omniprésente et empesée de l’acteur Marco Collin, qui incarne le survivant Rémi Dumont, nous fait décrocher.

D’une scène à l’autre, le niveau de jeu varie énormément dans Pour toi Flora, comme si les acteurs des époques différentes jouaient dans des séries différentes. Sophie Desmarais et Théodore Pellerin s’en sortent le mieux, je dirais. C’est dommage qu’un sujet aussi important ait débouché sur une œuvre moyenne, qui ne passera pas à l’histoire.

À TVA, Anna et Arnaud ne bouscule pas non plus les codes de la télévision. Les épisodes nous racontent de façon classique, et avec beaucoup de guitares acoustiques, une histoire touchante, inspirée de faits vécus. Évidemment, ce que vivent les deux protagonistes, Anna (Guylaine Tremblay) et son fils itinérant Arnaud (Nico Racicot), est terrible. Mais il y a un côté « costumé » à la série qui détonne. Les chapeaux funky, les perruques, les décors urbains, le langage de rue, tout ça manque de vraisemblance.

Nous sommes rendus au troisième épisode d’Anna et Arnaud, sur un total de huit, et j’ai l’impression de déjà tout savoir à propos de cette série qui se répète beaucoup d’une semaine à l’autre.

En programmant des séries conventionnelles et plus convenues, les chaînes s’assurent de satisfaire leur base de téléspectateurs les plus fidèles, les purs et durs qui consomment de grandes quantités de télévision, saison après saison.

Avec les séries plus risquées, c’est une clientèle volage et sélective que les réseaux tentent de séduire. On vise les téléphages qui pigent dans les catalogues de Crave ou Disney+ et qui suivent moins leurs séries en direct, mettons.

Chouchou de Noovo, un de mes coups de cœur de l’automne, aurait tout à fait sa place sur une plateforme comme Netflix ou Apple TV+. C’est excellent et confrontant. La construction de l’épisode de mercredi était fort habile. Dans les premières secondes, on nous a montré Chanelle Chouinard (Evelyne Brochu) en prison, pour rappeler le caractère illégal de la relation élève-prof au cœur des intrigues.

On a aussi vu la fille de Chanelle (Agathe Ledoux) lui jurer que ce n’est pas elle qui a alerté la police. Quelques secondes auparavant, cette même gamine avait fait irruption dans la salle de bain où Chanelle et son jeune amant de 17 ans, Sandrick (Lévi Doré), faisaient l’amour.

Il faut (de nouveau) souligner la justesse du jeu d’Evelyne Brochu et de Lévi Doré, les deux têtes d’affiche de Chouchou. Leurs rôles, en teintes de gris, ne sont pas évidents à défendre. Pourquoi, doux Jésus, une enseignante risque-t-elle sa carrière et sa famille pour une liaison avec un adolescent ?

Plus la série avance, plus le scénariste Simon Boulerice offre des pistes de réponse, avec les précautions nécessaires. L’auteur marche sur une glace très mince, qui ne casse pas.

La seule chose qui accroche légèrement dans Chouchou, c’est le personnage de la mère de famille monoparentale (Sophie Cadieux) qui fait plus folklorique que les autres, disons.

Je veux également revenir sur Avant le crash de Radio-Canada, une de mes séries préférées de la rentrée. La réalisation est magnifique et les textes, contemporains et affûtés. Je capote sur le personnage de l’associée Dominique (Marie-France Marcotte), une fausse alliée des femmes dans ce milieu carnassier de la finance. Elle tourne autour de l’antihéros Marc-André (Éric Bruneau) et ça ne peut que mal finir.

Dans Avant le crash, Kim Lévesque-Lizotte et Éric Bruneau brossent un portrait dur et nuancé de ces jeunes professionnels qui jonglent avec des millions, des responsabilités et des familles. Les épisodes se nourrissent à l’ambition et aux remises en question de quatre banquiers d’investissement peu équilibrés, c’est un euphémisme.

On sent qu’Évelyne (Karine Vanasse) se dirige vers un mur. Son désir de contrôle et de performance, jusque dans la chambre à coucher, cache assurément un truc sombre. En contrepartie, son conjoint François (Émile Proulx-Cloutier) s’adoucit.

Bien sûr, rien ne va s’améliorer pour ces drogués au pouvoir et à l’influence. La personne la plus sage de l’émission est Florence (Irlande Côté) qui a compris, à 13 ans, ce que les adultes de son entourage ne réalisent pas encore. La popularité, le succès, les amitiés, tout se paie, tout se monnaie, tout s’échange. Et tout le monde y perd au change.