Ce n’était pas un débat. Plutôt un échange ultra sage (nouvelle tendance en campagne électorale) entre les quatre principaux candidats responsables de la culture dans leurs partis respectifs. On était loin des flammèches et des piques de l’exercice similaire qui avait eu lieu en septembre 2018 et auquel j’avais assisté.

Organisé par le Réseau des conseils régionaux de la culture du Québec, en partenariat avec la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux de HEC Montréal, cette « rencontre » a rassemblé jeudi soir, à Montréal, Frantz Benjamin, du Parti libéral du Québec, Ruba Ghazal, de Québec solidaire, Pierre Nantel, du Parti québécois, et Nathalie Roy, de la Coalition avenir Québec.

Précisons que le Parti conservateur du Québec a décliné cette invitation qui n’offrait aucune occasion de glisser sur une pelure de banane. Au contraire, les candidats ont eu le loisir de peler le fruit à l’avance. Mais bon, sans doute que le PCQ avait en mémoire la performance plutôt moyenne de Claire Samson, alors candidate pour la CAQ, lors du débat d’il y a quatre ans.

PHOTO FOURNIE PAR DAVID OSPINA, CULTURE MONTÉRÉGIE

Nathalie Roy, ministre de la Culture sortante

Réglons tout de suite la question du calibre des quatre candidats. Si Nathalie Roy, qui occupait le fauteuil de ministre de la Culture jusqu’au déclenchement des élections, semblait plus à l’aise que ses collègues, on ne peut pas dire que ceux-ci affichaient des faiblesses. On a eu droit à des réflexions solides, à quelques bonnes idées et à un ton affable.

Il a évidemment été question de la Loi sur le statut de l’artiste, de la pénurie de main-d’œuvre dans le milieu culturel, des moyens pour stimuler la participation culturelle du public ou de ceux qui serviraient à ancrer la place de la culture dans la vie des jeunes.

Mais le sujet qui a suscité un semblant d’agitation est le fameux projet des Espaces bleus, qualifiés par Pierre Nantel de « soucoupes volantes ». Rappelons à ceux pour qui cette idée du gouvernement Legault serait moins familière qu’elle repose sur un réseau de lieux dont le mandat est de mettre en valeur l’héritage culturel et patrimonial des grandes régions du Québec.

« En soi c’est très beau, mais en vérité, le milieu muséal souffre », a dit le candidat du PQ, mettant en doute la pertinence du concept. De son côté, Ruba Ghazal s’inquiète d’une certaine « fragilisation » des musées régionaux.

PHOTO FOURNIE PAR DAVID OSPINA, CULTURE MONTÉRÉGIE

Ruba Ghazal, candidate de Québec solidaire dans Mercier

Nathalie Roy a défendu les Espaces bleus en répétant qu’ils seraient « complémentaires ». Elle a insisté, et avec raison, qu’ils feraient vivre des lieux patrimoniaux voués à l’oubli ou, pire, aux pelles des voraces promoteurs.

À ce sujet, il a été question du sort de certains bâtiments patrimoniaux (on a évoqué la honteuse démolition du Domaine-de-l’Estérel et de la vente de la Maison Chevalier). Certains candidats, dont Ruba Ghazal et Pierre Nantel, souhaitent un sérieux tour de vis. Le trop grand pouvoir des municipalités qui ont un droit de vie ou de mort sur ces bâtiments doit être remis en question, selon eux.

Frantz Benjamin est arrivé avec une proposition concrète, soit offrir un congé de taxes pendant dix ans aux propriétaires qui font l’acquisition d’un bâtiment patrimonial ayant besoin d’être rénové. Pas bête. Encore faut-il savoir ce qu’ils feront des bâtiments.

Au cours de cette rencontre qui s’est déroulée à l’auditorium Banque National de HEC Montréal et qui était animée par Sylvain Massé, président du conseil d’administration de Culture Montérégie, il était frappant de voir comment les sommes d’argent virevoltaient. Nathalie Roy, qui avait visiblement un bilan à défendre, n’a pu s’empêcher de présenter ses idées sans balancer un nombre impressionnant de millions comme si ceux-ci étaient une garantie de succès.

Les questions soumises en rafale à la fin de l’échange pouvaient difficilement rater leur cible. Voulez-vous soutenir la lecture auprès des jeunes ? Euh… Oui ! Voulez défendre le patrimoine vivant ? Euh… Oui ! Voulez-vous protéger le loisir culturel ? Euh… Oui ! Voulez-vous offrir une aide aux artistes autochtones ? Euh… Oui !

Je retiens de cette soirée les efforts qui doivent être consentis pour faire connaître la culture québécoise, ses bases et son histoire auprès de la jeune génération. Nous faisons face à un terrible gouffre en ce moment. L’univers du numérique nous renvoie cette réalité en pleine face tous les jours.

Comment voulez-vous que les jeunes de 17 ou 21 ans aient envie d’aller applaudir un artiste québécois de leur génération au Club Soda alors qu’ils ne savent rien de Claude Léveillée, Clémence DesRochers, Robert Charlebois ou Diane Dufresne ? Vous allez me dire : où est le lien entre ces pionniers et les artistes émergents ? Tout est là ! Il y a la fierté et le sentiment d’appartenance qui est aujourd’hui l’affaire de tous les Québécois.

À la fin de la rencontre, Frantz Benjamin a cité Gérald Godin, qui, dans Tango de Montréal, a écrit : « Sept heures et demie du matin métro de Montréal / c’est plein d’immigrants / ça se lève de bonne heure / ce monde-là ».

Ce fut le moment le plus authentique de cet évènement, car ce député-poète venait de mettre le doigt sur quelque chose. « Vous êtes plus qu’un amalgame ! », a ajouté Benjamin en s’adressant à ceux qui tiennent l’avenir de notre culture entre leurs mains.

C’est à ce moment-là que j’ai senti qu’on commençait à parler de culture.