Les organisateurs de la SuperFrancoFête, qui aura lieu à Québec le 31 août, attendent toujours une réponse du gouvernement fédéral : les 500 000 $ espérés tardent à venir.

Après des mois, des fonctionnaires du Patrimoine canadien sont arrivés à la conclusion qu’aucun programme ne correspondait à cette demande. Sylvain Parent-Bédard, président de SISMYK, division musicale de ComediHa! qui organise l’évènement, se dit « très, très, très étonné » de cela. Il se tourne maintenant du côté de la ministre responsable de l’Agence de développement économique du Canada pour les régions du Québec, Pascale St-Onge.

Voilà une situation embarrassante pour Justin Trudeau, qui disait pourtant avoir subi un « choc » lorsqu’il a pris connaissance des plus récentes données indiquant un recul du français au pays.

Le tapage entourant l’absence d’Ottawa dans la SuperFrancoFête nous permet toutefois d’apprendre que le budget de cet évènement d’un soir, qui se veut un « clin d’œil » à la SuperFrancoFête de 1974, est de 3 millions de dollars.

Près de 750 000 $ viennent de Québec, 300 000 $, de la Ville de Québec et le reste vient de télédiffuseurs et de commanditaires (hôtels, transporteurs aériens, etc.). Trois millions pour un spectacle, même à grand déploiement, c’est beaucoup, m’ont confirmé des contacts qui ont l’habitude de ces grands évènements.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

La chanteuse Angélique Kidjo coanimera la SuperFrancoFête à Québec le 31 août avec Garou et Nolwenn Leroy.

Mais bon, il y aura une trentaine d’artistes, et plusieurs viennent de l’étranger. Cette soirée, animée par Garou, Angélique Kidjo et Nolwenn Leroy, va rassembler Zachary Richard, Patrick Bruel, Louis-Jean Cormier, Robert Charlebois, Stephan Eicher, Tiken Jah Fakoly, Isabelle Boulay, Corneille, Damien Robitaille et d’autres. Une vingtaine de musiciens et choristes seront dirigés par Scott Price.

En fait, ce qui m’achale dans cette affaire, c’est que seulement 5000 personnes pourront y assister. Les organisateurs ont choisi le site de l’Agora du Vieux-Port de Québec, un espace qui a l’avantage d’offrir un bel écrin à l’évènement, mais qui a une capacité restreinte.

À ce jour, 50 000 personnes se sont inscrites pour obtenir des billets gratuits. Les organisateurs ont promis des écrans géants aux abords du site pour permettre à un plus grand nombre de spectateurs de vivre virtuellement l’expérience.

Pourquoi les organisateurs n’ont-ils pas imaginé ce spectacle que l’on promet « grandiose » sur les légendaires plaines d’Abraham comme ce fut le cas en 1974 ? Pourquoi n’ont-ils pas vu là l’occasion de créer un véritable évènement ?

Sylvain Parent-Bédard ne s’en cache pas : ce spectacle est avant tout un projet pour la télévision.

L’évènement (qui sera retransmis en direct sur les stations radio du réseau Cogeco) sera présenté, plus tard, sur les ondes de TVA, TV5 Québec-Canada et TV5 Monde. On dit que 200 pays auront accès à cette émission.

L’équipe de SISMYK souhaitait produire un évènement similaire lors du Sommet de la Francophonie qui devait se tenir en 2020, en Tunisie. Le concept a ensuite été imaginé pour l’Exposition universelle de Dubaï, qui s’est tenue l’an dernier. Mais la COVID-19 ayant compliqué les choses, tout a été annulé.

Les concepteurs ont donc décidé de réaliser ce projet à Québec et voudraient maintenant l’exporter dans d’autres villes.

Près de 50 années séparent la SuperFrancoFête de 1974 (qui se passait alors de majuscules) de celle d’aujourd’hui. L’évènement, tenu dans le cadre du Festival international de la jeunesse francophone, s’est déroulé du 13 au 24 août dans la Capitale-Nationale.

PHOTO ARCHIVES LE SOLEIL

Gilles Vigneault, Félix Leclerc et Robert Charlebois lors du spectacle J’ai vu le loup, le renard, le lion, en 1974

À l’époque, l’ouverture de cette semaine de festivités a été marquée par la présentation du spectacle J’ai vu le loup, le renard, le lion avec Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois, un moment historique qui a réuni à lui seul 125 000 spectateurs sur les plaines d’Abraham.

Avant que les trois monstres sacrés de la chanson québécoise interprètent Quand les hommes vivront d’amour, de Raymond Lévesque, les premiers ministres Pierre Elliott Trudeau et Robert Bourassa se sont offert un déluge de huées lors de la cérémonie d’ouverture qui s’est tenue devant le parlement.

« Vendu ! », « Prostitué ! ». Les insultes n’ont pas manqué de la part des manifestants qui ne digéraient pas l’adoption de la loi 22 qui protégeait trop mollement, selon eux, la langue française. Piqué au vif, Trudeau n’a pu s’empêcher d’être Trudeau et a répliqué aux protestataires.

« Eh bien oui, mes amis, c’est dans l’esprit et le cœur qu’on trouve la liberté, ce n’est pas dans des gueulards comme vous. Vous venez de les perdre, vos élections, je vous donne rendez-vous dans quatre ou cinq ans. »

Les deux premiers ministres ont ensuite assisté au mythique spectacle qui fut gravé sur disque. Ils ont alors pu entendre dans un même souffle Mon pays, Les gens de mon pays, Il me reste un pays et Lettre de Ti-Cul Lachance à son premier sous-ministre, de Vigneault, Mon pays (ce n’est pas un pays, c’est une job) et Québec, de Charlebois, de même que Tu te lèveras tôt (c’est ton pays) et L’alouette en colère, de Leclerc.

Nul besoin de vous dire que Bourassa et Trudeau ont dû trouver le temps long…

Après le spectacle, ils sont allés saluer les trois artistes dans leur loge. Une journaliste baveuse a alors demandé à Trudeau s’il était un premier ministre « ordinaire » en référence à la célèbre chanson de Charlebois. Rires jaunes…

Il y a 50 ans, la SuperFrancoFête faisait partie d’un vaste et vigoureux mouvement politique et social. Elle était le catalyseur d’un peuple qui n’avait pas peur de se regrouper par milliers pour défendre sa culture. Aujourd’hui, elle est un évènement destiné à nourrir le monde des médias et à servir de vitrine touristique à la plus belle ville au pays.

Qu’est-ce que le gouvernement fédéral refuse de financer au juste ? La défense d’une langue qui meurt à petit feu ou l’immense message publicitaire dont cet évènement a toutes les allures ?

Je suis retourné voir les journaux du 14 août 1974, soit le lendemain du spectacle J’ai vu le loup, le renard, le lion. Le Soleil consacrait plusieurs pages à l’évènement. Sur l’une des photos, on voit Pierre Elliott Trudeau. Et qui est à ses côtés ? Je vous le donne en mille !

Je vous dis quand même qu’il s’agit d’un petit bonhomme aux cheveux bouclés qui tient un toutou entre ses mains.

Consultez le site de l’évènement