« Les Philippines, tassez-vous un peu par ici. L’Italie, allez par là, et la Syrie, rapprochez-vous du grand chœur… »

Dans l’église Sacré-Cœur-de-Jésus, André Pappathomas place une centaine de choristes avant la répétition générale du concert Les chants de l’île, qui sera présenté le 2 juillet au nouveau Théâtre de Verdure récemment rénové du parc La Fontaine. J’ai assisté à deux répétitions de ce concert, qui s’avère un projet artistique et citoyen particulièrement émouvant.

Les chants de l’île réunissent autour du Grand Chœur du Centre-Sud dirigé par André Pappathomas une dizaine de chorales provenant de communautés culturelles des quatre coins de Montréal. Seront présents sur scène les chorales Panday Tinig (Philippines), Singiza (Rwanda), Antioche (Syrie), Abruzzese (Italie), Canticorum (Amérique latine), Antsa Fitoriana (Madagascar), Haïti chante et danse (Haïti), le Duo de l’opéra de Pékin (Chine) et le groupe Angham (Moyen-Orient), auxquelles se greffent des solistes et des musiciens invités.

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André Pappathomas

Ça fait beaucoup de monde, et tout ce beau monde a créé ensemble ce concert original où la musicalité des langues de partout se mêle à la langue française, car ce spectacle s’inscrit aussi dans un projet de francisation des immigrants. « Ce que je trouve magnifique, c’est de pouvoir utiliser la musique pour se réunir », souligne dans une entrevue téléphonique Ericka Alneus, responsable de la culture et du patrimoine à la Ville de Montréal, qui chapeaute le projet.

Cela signifie aussi se créer une identité à travers une ville francophone qui fait maintenant partie de leur vie, Montréal, et valoriser nos communautés culturelles. C’est le genre de chose, comme enfant de parents immigrants d’Haïti, qui me rend fière.

Ericka Alneus, responsable de la culture et du patrimoine à la Ville de Montréal

Honnêtement, je ne savais pas qu’il existait autant de chorales diversifiées à Montréal. Dans chacune des communautés culturelles, elles servent à maintenir le lien avec les gens, la langue et la culture d’origine. On y trouve des nouveaux arrivants comme des immigrants bien intégrés ; nombreux sont ceux qui parlent très bien le français pendant que d’autres sont en train de l’apprendre. Pour Les chants de l’île, chacune des chorales chantera dans sa langue une ou deux pièces de son répertoire, où sera intégré un refrain en français. Ainsi, on pourra entendre Santa Lucia par les Italiens, Non fan bwa par les Haïtiens, Bayan ko par les Philippins, Lamma bada par les Syriens…

André Pappathomas, qui est aussi compositeur, a créé les liaisons entre les chants et intégré au spectacle les chansons La fin du monde, de Robert Charlebois, et Mommy, popularisée par Pauline Julien, une petite audace de son cru.

Ça a l’air compliqué écrit comme ça, mais il faut le voir et l’entendre pour le croire. Le résultat est fascinant, comme l’est André Pappathomas, artiste multidisciplinaire passionné et très engagé dans sa communauté, toujours plein d’idées et de projets. Ce n’est pas la première fois qu’il se lance dans un tel projet. En 2016, il avait créé Souffles avec 250 choristes, qui avaient chanté dans une dizaine de langues. Pour ce projet-ci, il s’est promené dans les maisons de la culture de Montréal à la recherche de chorales qui étaient toutes en pause en raison de la pandémie, ce qui fut « une sacrée job », dit-il.

  • Une partie de la chorale rwandaise Singiza, avec Bernadette Mukandoli (au centre)

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    Une partie de la chorale rwandaise Singiza, avec Bernadette Mukandoli (au centre)

  • Répétition générale du spectacle Les chants de l’île

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    Répétition générale du spectacle Les chants de l’île

  • Khen del Carmen, de la chorale Panday Tinig des Philippines

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    Khen del Carmen, de la chorale Panday Tinig des Philippines

  • Franco Guido, directeur du chœur Abruzzese

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    Franco Guido, directeur du chœur Abruzzese

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En les initiant à des principes d’improvisation, il a créé les pièces communes, s’inspirant notamment de Claude Gauvreau ! « Ils me prennent pour un Martien, mais quand ils arrêtent de douter, c’est beau et ça marche, m’explique-t-il. J’ai rencontré chacun des chœurs pour travailler à la création d’un objet neuf. Et tout ça forme une petite humanité. Toutes les langues se côtoient pour créer une œuvre commune. Même si on a des langues distinctes, et qu’on veut bien sûr converger vers la langue française, ce n’est pas ce qui peut nous empêcher de chanter ensemble. »

Une œuvre collective

En tout cas, les participants ont l’air de bien s’amuser. Il faut les voir s’enthousiasmer pour la pièce archiconnue Bella Ciao que le directeur du chœur Abruzzese, Franco Guido, accompagne de son accordéon, ou alors les entendre répondre à l’appel d’André Dopitari, directeur de la chorale Singiza, qui a mis le feu en dansant à en perdre haleine. Ça tape des mains, ça rit, ça chante et ça danse dans l’église de mon enfance, et je dois avouer que ça me remplit de joie.

« On ne peut pas dire non à André », me dit Bernadette Mukandoli, de la chorale Singiza, qui connaît l’artiste depuis quelques années. « Ses projets sont artistiques et humanistes en même temps. André, c’est la société d’accueil pour nous. Ce projet avec différents pays est grandiose, parce qu’on ne se sent pas seuls. On écoute les autres. »

D’ailleurs, André Pappathomas lance à l’assemblée plus que des instructions musicales. « Restez en contact avec les cultures qui vous environnent, c’est une grande inspiration pour nous. Votre présence est une richesse. Et le 2 juillet, venez même s’il pleut. Soyez colorés, mettez-vous beaux et belles ! »

Pour le jeune Philippin Khen del Carmen, qui est arrivé au Québec il y a cinq ans, s’intégrer à une chorale lui a permis d’être en contact avec des gens de toutes les générations de sa communauté, et il est impressionné par le fait que dix cultures travaillent ensemble. « J’espère que cela aura un grand impact sur le public. »

« J’adore », confie pour sa part Marie-Claire Antoine Léveillée, directrice d’Haïti chante et danse, qu’elle a fondée. Elle est arrivée au Québec dans les années 1990 pour devenir professeure, aujourd’hui à la retraite. « C’est un projet rassembleur et c’est beau, au final. J’ai hâte d’entendre les autres langues, car André nous permet de chanter dans notre langue. »

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Marie-Claire Antoine Léveillée, directrice d’Haïti danse et chante

Le très sympathique Franco Guido, 77 ans, arrivé au Québec d’Italie quand il avait 16 ans, est fier de participer aux Chants de l’île. « Moi, je dis merci au gouvernement du Québec de nous laisser libres de garder nos cultures. Nous sommes chanceux d’être ici. Ce projet inclut tout le monde. On bâtit un Québec ensemble. »

Ces propos rejoignent ceux d’André Pappathomas, qui estime qu’il ne faut pas tant « sauver » la culture québécoise qu’assurer sa continuité avec chacun.

« Ce qu’il y aura sur scène le 2 juillet, c’est le Québec de demain, dans cette conscience du fait français et de cette culture que je leur apporte, note-t-il. Ils comprennent un peu les Québécois à travers moi, même si je leur propose des choses étranges. Ça marche ! On est craintifs ici, et c’est normal dans le contexte où on est une société francophone en Amérique du Nord. Mais je pense qu’il est vraiment important qu’on ouvre notre mentalité et nos visions, et qu’on trouve en soi une assurance plus grande envers notre culture, ce qui va nous permettre d’être une société d’accueil beaucoup plus grande et exemplaire. »

Au fond, et c’est ce qu’il y a de plus beau, ce spectacle est à l’image du Québec actuel : une œuvre collective.

Les chants de l’île, le 2 juillet à 20 h 30 au Théâtre de Verdure du parc La Fontaine. Entrée gratuite, ouverture des portes à 19 h 30.

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