Dina Gilbert est entrée dans le café Pista où on avait rendez-vous avec son sac à dos et deux valises qu’elle a poussées devant elle. La cheffe d’orchestre s’apprêtait à prendre l’autocar pour se rendre à Trois-Rivières où elle dirige jusqu’à samedi Harmonium symphonique.

Maestra, certes, mais pas diva pour cinq cennes, cette femme, me suis-je dit.

Elle a commandé un bol de yaourt rempli de fruits et, sitôt la première question posée, j’ai découvert son tempo : les spécialistes de la musique diraient sans doute allegro molto.

Originaire de la Beauce, Dina Gilbert a grandi au sein d’une famille qui compte six filles. Son père était chauffeur d’autobus et sa mère, enseignante au secondaire. « Mes sœurs et moi avons toutes suivi des cours de musique. Pour mon père, qui venait d’un milieu d’agriculteurs, c’était tout aussi important que l’école. »

Alors que ses sœurs choisissent facilement leur carrière, la jeune Dina nage dans un certain flou. Sans but précis, elle entreprend des études en piano au cégep Marie-Victorin. Puis, ce sera un baccalauréat en musique à l’Université de Montréal.

L’un de ses professeurs, Paolo Bellomia, décèle chez elle un talent pour la direction d’orchestre. « Il m’a dit que j’avais une bonne oreille et que mes mains parlaient beaucoup. » Il la prend sous son aile et la prépare à la maîtrise où un seul étudiant est admis chaque année. Elle sera l’heureuse élue.

Elle devient un visage connu des musicothécaires, car elle emprunte constamment des partitions et des disques. Puis, elle enchaîne avec le doctorat. « Je recrutais des musiciens à la cafétéria pour former l’orchestre que je devais diriger lors de mes examens. Je les remerciais avec une bière après les concerts. »

Après sa formation, elle fonde l’Ensemble Arkea où elle doit assumer toutes les tâches. Puis, en 2017, elle est nommée à la tête du Kamloops Symphony et de l’Orchestre symphonique de l’Estuaire (OSE). Elle devient plus tard la cheffe attitrée des Grands Ballets Canadiens. À cela se sont ajoutées des invitations ailleurs dans le monde.

Dina Gilbert a travaillé fort pour bâtir sa réputation. Pour cela, elle a accepté plusieurs défis. Elle est devenue l’experte des projets « non classiques ». C’est comme cela qu’un producteur français lui a demandé de diriger un concept hip-hop avec MC Solaar, IAM et d’autres.

Âgée de 37 ans, Dina Gilbert fait partie d’une nouvelle génération de cheffes d’orchestre. Je lui ai demandé de me nommer ses modèles. Elle a parlé de Lorraine Vaillancourt, Véronique Lacroix, Barbara Hannigan et Marine Alsop.

On a évidemment abordé la question du sexisme dans ce milieu qui fut longtemps très masculin. « Pour moi, ça n’a jamais été un enjeu. Je sais toutefois qu’il y a des profs qui disent aux étudiantes qu’elles ne peuvent faire tel geste en dirigeant un orchestre, car ça passe mal chez une femme. Ou alors, ça m’est arrivé d’être dans une réunion avec des gens qui trouvaient que je parlais beaucoup. Ils finissaient par comprendre que je n’étais pas la régisseuse, mais la cheffe d’orchestre. »

Mais au-delà de cela, elle préfère insister sur les talents d’un chef avant son sexe. Durant notre conversation, il fut beaucoup question de Zubin Mehta et de Kent Nagano, dont elle fut l’assistante. Ses yeux brillent quand elle évoque ces deux maîtres. « Tu sais, quand maestro Nagano te demande ton opinion, te laisse préparer l’orchestre avant sa venue, ça te procure une grande confiance. »

Lorsque j’ai vu Dina Gilbert diriger l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières dans Harmonium symphonique, le 24 mai dernier, j’ai été frappé par son incroyable énergie. Je ne me doutais pas un instant qu’elle luttait contre un cancer depuis plusieurs mois. « Je suis aux deux tiers des traitements. Cinq ou six jours avant la première, je me demandais si j’allais être capable de diriger. Finalement, l’énergie est venue au bon moment », dit-elle, ne souhaitant pas trop s’étendre sur le sujet.

Dina Gilbert dirige jusqu’à samedi Harmonium symphonique qui affiche complet (on a mis en vente 800 billets sur le gazon pour la représentation du 4 juin). On va aussi la retrouver cet été au Festival d’opéra de Québec dans Yourcenar, une île de passion, du compositeur Éric Champagne.

Et plus tard, il y aura la France et d’autres invitations qui étaient en suspens depuis le début de la pandémie. « Je dois dire qu’avec tout ce que j’ai vécu au cours de la dernière année, je veux surtout profiter des belles choses. Mes priorités ont changé. Je vis plus dans le moment présent. »

Je l’ai quittée complètement énergisé. Était-ce la force de la musique ? Ou la sienne ? Je ne sais trop. Mais je me disais que les musiciens qui l’ont devant eux sont bien chanceux.