Une téléréalité sans vilain, c’est comme L’île de l’amour ou Big Brother Célébrités sans petit boudoir à maquillage, c’est wack, tu comprends ? Oui, 100 %.

Dans un « set-up » de feu, souvent une villa tropicale sans âme ou un chalet alpin meublé en Structube, il faut que des participants se sacrifient pour brasser les proverbiales cartes du jeu de séduction. Sans eux et, surtout, sans elles, l’as de trèfle ne piquerait pas ton cœur (en néon rose), pour paraphraser le génie MC Solaar.

À Occupation double l’automne dernier, Sabrina (alias Miss Bec Sec) et Audrey, qui a révélé son côté Cruella au voyage final en République dominicaine, se sont échangé le rôle de la diablesse qui s’habille en Puma et non en Prada.

À L’île de l’amour, le tourmenté William, courtier immobilier de 21 ans, donne actuellement aux téléspectateurs de TVA une leçon accélérée de détournement cognitif – le gaslighting – en invalidant les sentiments de sa partenaire Amanda et en ramenant les enjeux sentimentaux à son nombril.

Sans ces gens intenses, déconnectés et biberonnés aux boissons énergétiques, nos marathons téléréels du week-end deviendraient aussi ennuyeux qu’un atelier de dégustation de vin entre Tim et Denise à Si on s’aimait.

Le meilleur exemple de vilaine parfaite et payante se trouve dans Selling Sunset (Du soleil à revendre) de Netflix, la meilleure téléréalité immobilière de l’univers, sans blague. En fait, c’est un docusoap frivole bien emballé dans une boîte Tiffany. J’ai engouffré la cinquième saison – offerte en français et en anglais depuis vendredi dernier – en deux soirées remplies de vêtements extravoyants et de rallonges de Raiponce.

Cette fauteuse de troubles, c’est la blonde Christine Quinn, l’agente amazone qui a renfilé Louboutin et mini-jupe griffée deux semaines après sa césarienne.

Sans Christine et sa Lamborghini jaune citron, pas d’émission. Quand Christine se pointe à l’agence d’immobilier de luxe exploitée par les terrifiants jumeaux Brett et Jason Oppenheim, elle commande l’attention derrière son horrible bureau en métal brossé.

Quand Christine s’absente d’une fête de type « bachelorette » de banlieue, ses rivalamies ne parlent que des vacheries qu’elle a prononcées sur un ton faussement innocent, en sirotant un cocktail à 27 $, aspergé d’eau de rose en aérosol. Oui, c’est très tendance à Beverly Hills. Pschit, pschit, de l’eau de rose sur ton gin-tonic.

Ce théâtre de cour d’école et de la reine des abeilles bouffe beaucoup de temps d’antenne dans Selling Sunset 5. Peut-être trop, même. Pourrait-on remettre la caméra sur la pauvre Davina, qui s’humilie constamment devant le propriétaire détraqué de la maison à 75 millions, s’il vous plaît ? Ce promoteur immobilier d’origine turque ressemble à un vilain dans Homeland ou 24 et il fait vraiment peur.

Mais non. Le dernier chapitre de Selling Sunset, encore plus scénarisé que d’habitude, joue à fond l’aliénation de Christine du reste des filles de l’agence, soit Chrishell, Mary, Amanza, Heather et la recrue Emma, qui a fréquenté le même homme que Christine (OMG, drame !).

Et sans aucune subtilité, les producteurs de Selling Sunset ont embauché une alliée pour Christine qui s’appelle Chelsea et qui est essentiellement une copie londonienne de l’originale. Christine et Chelsea, les Barbie blonde et noire autoproclamées, partagent un amour des tenues à logos, de la tête aux pieds. Et elles forment l’alliance de celles qui disent la vérité, en tout cas, qui disent leur vérité, en espérant créer un froid pour les caméras.

Autre morceau important des intrigues : la romance entre la pétillante Chrishell et son patron Jason Oppenheim. On sait tous comment cette relation se terminera (merci TMZ), mais on reste jusqu’au dernier épisode pour voir comment Chrishell l’annoncera devant un plateau de charcuteries et une vue spectaculaire sur Los Angeles. Partez ici une musique pop générique tristounette.

Le magazine Time a le mieux expliqué pourquoi Selling Sunset captive autant ses fans. C’est un conte de fées moderne qui met en vedette des femmes indépendantes dans des robes de princesse. Chrishell est Cendrillon, et Christine, Javotte. L’une a été pauvre, et l’autre nage dans le fric.

Le message d’autonomisation (girlboss !) que les protagonistes de Selling Sunset envoient se bute bien sûr à quelques contradictions. Mary, Chrishell et compagnie triment pour s’offrir des condos de luxe, des boucles d’oreilles Chanel et des soins esthétiques. « J’achète mes propres diamants et mes propres bagues », pourraient-elles chanter en hommage à Destiny’s Child.

De l’autre côté, leur milieu de travail les force à se bitcher entre elles et à se pousser, de façon symbolique, dans la piscine à débordement. C’est un drôle de mélange de féminisme et de matérialisme. Pour ces courtières fortes et affranchies, le summum de la réussite n’est pas de devenir son propre patron ou de vivre confortablement, mais bien de se marier et d’avoir des enfants.

Et ça, honnêtement, c’est encore plus étrange que Romain qui parle en anglais devant une Mary qui multiplie les faces de stupéfaction.