Les gens qui adoptent un enfant me touchent profondément. Il y a dans ce geste le désir assez puissant d’être parent pour traverser les innombrables dédales administratifs et passer outre l’héritage génétique. Alors, imaginez une personne qui décide d’adopter une enfant de la DPJ. Seule.

C’est le cas de Catherine Voyer-Léger, qui poursuit depuis 10 ans une œuvre très personnelle, dans la veine des récits de soi, par des livres comme Prendre corps, Désordre et désirs, Détails et dédales. Avec Nouées, elle raconte l’adoption de sa fille ainsi que sa relation trouble avec sa propre mère, tissée de culpabilité, et pose une question : à quel moment notre histoire commence-t-elle vraiment ? À la naissance, ou au premier regard, au premier souvenir, la première fois qu’on dit ou qu’on entend le mot « maman » ?

Pour Catherine, dès que l’enfant est entrée chez elle, les jeux étaient faits. « J’ai dit : “Je suis ta maman, tu es ma fille et je t’aime pour toujours.” C’est comme accepter qu’on va construire le réel en le répétant. Sans arrêt. Il y a vraiment un choix d’écriture de vie. Je trouvais qu’il n’y avait pas de compromis possible. J’étais devant un enfant qui avait beaucoup vécu d’abandons, je ne pouvais pas donner moins de moi, par crainte d’avoir mal. »

Je trouve fascinant qu’elle parle d’écriture dans sa relation avec sa fille. Catherine considère que ce rapport est beaucoup plus transparent dans l’adoption. « L’impression d’être en train d’écrire une nouvelle réalité est très vive, plus que dans la maternité naturelle, je crois, où il y a quand même une impression de continuité de soi. »

Réfléchir au lien

Catherine Voyer-Léger célèbre son 10e titre publié en une décennie et elle en est plutôt fière. « J’ai un rapport à l’écriture qui accepte le caractère inachevé, en construction de quelque chose explique-t-elle. Je suis très consciente que je n’écris pas des livres à prix, que je ne suis pas dans la recherche de l’œuvre finie. J’écris pour réfléchir. Le point commun de tout ça, c’est la non-fiction, et j’ai fait la paix avec ça. Je ne pense pas aller jamais dans la fiction. Cette réflexion-là est faite pour alimenter un dialogue. »

Elle a écrit Nouées avec un grand souci de respect. D’abord, en étant famille d’accueil, elle doit observer des règles qui l’empêchent d’identifier son enfant et sa famille biologique, mais elle a aussi tenu à faire lire le texte à sa mère, puisqu’elle y raconte combien elle a été marquée enfant par sa disparition momentanée. Car dans une période de crise dans la vingtaine, sa mère a dû aller en cure de désintoxication alors qu'elle avait 4 ans.

C’était important pour moi, où j’en suis dans ma vie, qu’elle ne reçoive pas ce texte comme quelque chose de blessant. De toute façon, ce n’est pas un texte sur les problèmes de ma mère, plutôt sur comment moi, enfant, j’ai reçu cette mère qui n’était pas à 100 % centrée, disons.

Catherine Voyer-Léger

J’ai connu Catherine il y a longtemps, quand elle tenait un blogue qui a mené à son écriture et ses publications. Je la trouvais étonnamment sans pudeur par moments, mais d’une grande lucidité, ce qu’est exactement Nouées. Dans le collectif Nullipares paru en 2020, elle signait le texte « La question de ma fertilité », qui dévoilait les difficultés qu’elle aurait pu rencontrer si elle avait choisi la voie biologique pour devenir mère. Quant au fait d’élever seule un enfant, ce n’était pas vraiment un choix, puisque l’amour dont elle a longtemps rêvé ne s’est pas présenté. « La vie en a décidé ainsi. Ce qui m’intéressait dans la parentalité, c’était le fait d’accompagner quelqu’un dans son développement. C’est pourquoi le deuil de la maternité biologique n’a pas été si lourd pour moi. Qu’un enfant soit de mes gènes ou non ne change rien, et cet aspect-là ne me déçoit jamais : chaque année, je suis fascinée par ce que ma fille devient. »

De nouvelles racines

Bien sûr, ce n’est pas facile tous les jours, les enfants adoptés ont très souvent des problèmes d’attachement et Catherine avoue qu’elle avait grandement sous-estimé la monoparentalité. Mais elle refuse le mot « courage » qu’elle a souvent entendu à propos des parents adoptifs de la DPJ, et que j’ai failli lui dire moi aussi. Catherine a découvert combien elle avait des outils pour relever le défi, ce qui n’est pas le cas de la plupart des parents biologiques qui doivent affronter le système de la DPJ. Elle comprend que lorsque sa mère a eu une période de crise et lorsqu’elle-même, plus jeune, a connu un passage sombre avec des pensées suicidaires, il y avait des capacités en elle et du monde autour pour les aider.

« On émane d’un milieu équipé avec des gens équipés, note-t-elle. Je ne serais pas allée en famille d’accueil parce qu’il y avait tellement de monde autour pendant que ma mère se ressaisissait. C’est là qu’on se rend compte qu’il y a des enjeux structurels à la DPJ, parce qu’elle intervient surtout dans les mêmes quartiers, les mêmes milieux, de génération en génération où, ce qui manque, c’est le filet humain. »

Les parents qui sont complètement sans ressources, qui vivent une grande panique parce qu’ils ont l’impression de tout perdre, n’ont pas tout ce qu’il faut pour faire face à cette institution-là. Je ne comprends pas que ça nous étonne qu’ils déraillent.

Catherine Voyer-Léger

Elle fait remarquer que dans notre imaginaire, la DPJ, c’est la petite fille de Granby. « Mais ce n’est majoritairement pas ça. Notre faille comme société, quand on parle de la pauvreté des enfants, par exemple, c’est qu’il y a des familles pauvres. S’il y a des enfants qui ont besoin de la DPJ, c’est parce qu’il y a des familles qui ont besoin d’aide. »

Je ne peux m’empêcher de lui demander si sa relation avec sa mère a changé depuis qu’elle est mère adoptive. « C’est méga cliché, mais c’est tellement vrai, je pardonne beaucoup de choses maintenant. Je comprends mieux l’enfant que j’ai été, je la comprends mieux, elle. Je comprends mieux notre histoire, finalement. »

Et pour être certaine qu’il ne manque aucun chapitre à l’histoire qui est en train de s’écrire avec sa fille, Catherine est en train de terminer un livre jeunesse destiné aux familles adoptives du Québec. Car elle s’est rendu compte que les livres qui parlent d’amour entre les parents et les enfants commencent presque tous avec l’image d’un bébé naissant. « Un jour, je vais devoir lui expliquer que nous, nous n’avons pas ça, qu’il nous manque 15 mois où nous n’étions pas ensemble dans son histoire de vie. »

Le titre de ce prochain livre ? « Tu es un arbre magique, en réponse à l’arbre généalogique. C’est le livre que j’aurais voulu pour ma fille. »

Nouées

Nouées

Québec Amérique

162 pages