Il est ironique de regarder une série documentaire à propos de la magie du cinéma sur une plateforme comme Netflix, quand on sait que le streaming vide de plus en plus les salles. Mais j’ai bien aimé Voir, produite notamment par David Fincher et David Prior, qui propose une collection de courts essais sur le cinéma. En particulier le premier épisode, L’été du requin, dans lequel Sasha Stone revient sur la folie autour du film Jaws de Spielberg en 1976, qui a lancé la vogue des blockbusters estivaux et une phobie universelle du requin.

Cette série m’a rappelé qu’aller au cinéma est de loin mon activité favorite depuis l’enfance. Mes parents me donnaient 5 $ et je disparaissais pour le reste de la journée dans les salles sombres, parfois dans des programmes doubles ou triples d’où je sortais courbaturée, mais ravie.

J’ai vécu la fin de l’époque glorieuse des cinémas, quand il y en avait partout. Le Champlain, le Ouimetoscope, le Saint-Denis, le Parisien, le Parallèle, l’Impérial… je les fréquentais tous assidûment, dans une passion dévorante entravée par rien, puisque personne ne surveillait ce que j’allais voir. Mes parents m’ont donné l’entière liberté de la cinéphile, et les guichetiers laxistes qui ne vérifiaient pas mon âge ont fait le reste. J’ai vu tout ce que je voulais voir, surtout des films d’horreur à ne pas montrer aux âmes sensibles.

Tous les avertissements avant les films me font donc un peu rigoler, et j’avoue rigoler tout autant à voir les gens s’énerver autour de l’arrivée du « peut contenir des représentations culturelles d’époque », comme on a pu le lire avant la diffusion de La cage aux folles d’Édouard Molinaro, succès populaire de 1978, et aussi avant le film C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée, sorti en 2005, mais qui se déroule dans les années 1970.

Ça choque bien des gens, qui trouvent ça ridicule. Bref, on s’indigne d’avertissements qui visent à contrer l’indignation de ceux qu’on n’hésite pas à qualifier de bien-pensants. On vit une époque formidable.

Ça fait longtemps que les films ont des classifications et des avertissements, comme « contient de la sexualité, un langage cru et des scènes de violence ». Au fil du temps, on a vu s’ajouter des avertissements sur la drogue, la cigarette ou le suicide. La liste s’allonge avec les représentations culturelles datées, et on se demande jusqu’où ça va aller, tout ça. En fait, les diffuseurs se protègent, comme lorsqu’une entreprise nous explique dans son manuel d’instructions qu’il ne faut pas faire sécher son chat dans le four à micro-ondes.

L’an dernier, quand le groupe RBO a fêté son 40anniversaire avec la série RBO – The Archives, il se moquait déjà de ce type de précautions au début de chaque épisode qui contenait un avertissement niaiseux, dans un détournement amusant qui bonifiait le visionnement.

Ce qu’on trouve ridicule ici, c’est probablement l’inutilité d’un tel avertissement avant La cage aux folles, parce qu’on n’a qu’à voir le grain de la pellicule et les vêtements des personnages pour comprendre que le film ne date pas d’hier.

Est-ce vraiment nécessaire de prévenir le public qu’il fera face à autre chose que son époque ?

Sauf que, même en 1978, le film était daté et montrait une vision très stéréotypée du couple homosexuel. Mais le grand public a adoré Renato et Albin, ce qui a fait de La cage aux folles le film français le plus vu aux États-Unis dans les années 1980, contribuant à la fois à l’acceptation et à la perpétuation de stéréotypes – c’est tout le paradoxe de ce classique de la comédie.

En ce qui me concerne, je suis prête à accepter toutes les contorsions qu’il faudra tant qu’on ne touche pas aux films. Si vous voulez me faire grimper dans les rideaux, mettez des ciseaux dans un long métrage. S’il faut des avertissements pour ménager les susceptibilités et garder les films intacts, je ne vois pas le problème, on n’a qu’à les zapper. Parce que de quoi se plaint-on au juste, alors qu’on n’a jamais eu accès à un aussi grand catalogue de films depuis les débuts du cinéma ?

J’ai chez moi un vieux TV Hebdo de 1961, avec Muriel Millard en couverture. Je le conserve uniquement parce que les avertissements me font rire.

Ce sont les curés à l’époque qui cotaient les films, et leurs jugements étaient plus moraux qu’esthétiques.

Par exemple, pour Le train sifflera trois fois, on prévient qu’il y a « évocation d’une liaison ». Pour La reine des cartes, on indique « mœurs dépravées ». Pour Des jeunes filles dans la nuit, « amour libre, dialogue cynique et dur », et pour Le secret du Florida, « libertés d’attitudes et de gestes ». Mes préférés sont « triomphe final de la fainéantise » accolé à Vire-Vent et « milieu de gens tarés et turpitudes étalées » pour Au P’tit Zouave. Je ne m’en lasse pas, tous les films sont ainsi passés au peigne fin des bonnes mœurs, et c’est hilarant, car ces avertissements devaient titiller le lecteur du TV Hebdo et lui donner le goût de voir les films (après avoir couché les enfants). Un peu comme lorsque l’étiquette « Parental Advisory » a été créée pour les albums de musique aux paroles explicites, et qui est devenue une sorte de sceau de qualité auprès des adolescents.

Quand j’y pense, toutes les générations ont fait face à des représentations culturelles datées à la télévision, reprises et vieux films obligent. RBO avait caricaturé l’émission Papa a raison, qui a ennuyé beaucoup de jeunes ne se reconnaissant pas dans ce portrait de la famille modèle, avec un père tout puissant, une mère parfaite et des enfants obéissants. D’ailleurs, il y a un article dans mon vieux TV Hebdo de 1961 qui demande : « Papa a-t-il raison ? ». La réponse : « Ce n’est pas toujours papa qui a raison. Il arrivera même que la morale viendra du côté de son fils, de sa fille, de sa femme ou même de la bonne. »

En fait, on ne sait jamais d’où elle va arriver.