Quand François Grisé a présenté en 2019 les premiers chapitres de sa pièce documentaire Tout inclus, créée en collaboration avec Annabel Soutar et Agathe Foucault, il ne se doutait pas du riche filon qu’il allait explorer. Ni que le sort des aînés allait faire la une des médias pendant la première vague de la pandémie, qui a emporté plus de 5000 personnes âgées.

Après quelques reports en raison de la crise sanitaire, François Grisé présente enfin l’intégrale de Tout inclus, qui comprend huit chapitres. Mercredi soir, la salle chez Duceppe était pleine pour voir jusqu’où le dramaturge allait nous amener sur le sujet du vieillissement, devenu un enjeu majeur au Québec, qu’on le veuille ou non. Selon l’Institut de la statistique du Québec, en 2017, il y avait 1,6 million de personnes âgées de 65 ans et plus sur une population d’environ 8 millions. On prévoit qu’elles formeront le quart de la population dans 10 ans, et le tiers en 2061. Ceux qui croient encore que la disparition des boomers renversera la vapeur sont dans le champ. C’est une vérité implacable de la démographie – l’espérance de vie augmente en même temps qu’on est plus nombreux –, et nous ne sommes pas prêts comme société, nous fait comprendre Grisé.

J’avais quelques appréhensions à voir l’intégrale de cette pièce, entre autres parce qu’elle dure 3 heures 25 et que j’ai mal au dos, mais surtout parce que le traumatisme de la COVID-19 est loin d’être guéri chez moi comme chez beaucoup de gens.

Comment oublier cette hécatombe, le scandale Herron, ces images de vieux derrière leurs fenêtres, confinés dans leur résidence, ces familles qui n’ont pas pu dire au revoir à leurs parents ?

Mais si François Grisé aborde cet épisode terrible dans un chapitre, il n’en fait pas le cœur de sa pièce. Il demeure dans sa quête personnelle à propos d’une réalité que l’on ne veut pas voir : nous n’échapperons pas à la vieillesse. Et il fait un parallèle pertinent avec notre déni du réchauffement climatique. Être vieux, ou cramer sous des températures anormales, c’est quelque chose qui va arriver… un jour lointain, pense-t-on. Alors que la vie passe tellement vite, il me semble.

Rappelons que le projet de François Grisé est né d’un choc, lorsque ses parents sont allés vivre dans une résidence pour aînés (RPA). Afin de mieux comprendre ce qui arrivait, il est allé lui-même vivre dans une RPA pendant un mois, récoltant les témoignages des vieux qui l’entouraient, dont beaucoup sont morts depuis. Les premiers chapitres que nous avions déjà vus donnent ainsi un portrait poignant, parfois drôle, parfois crève-cœur, de la réalité des dernières années de vie d’êtres humains en résidence. On choisit une RPA bien souvent parce que la maison est trop grande, qu’on a perdu son amour, qu’on n’arrive plus à faire ses courses et à manger sans s’épuiser, ou parce que nos enfants inquiets veulent qu’on soit en sécurité.

Entouré des comédiens Marie Cantin, Jean-François Gaudet et Marie-Ginette Guay, qui jouent différents personnages comme ses parents, des résidants ou des spécialistes (en gériatrie, en marketing ou en démographie), François Grisé pousse sa réflexion plus loin pour en arriver à la conclusion qu’on ne doit pas attendre de solution ultime de la part des gouvernements, parce qu’il s’agit d’un enjeu collectif auquel nous devons tous réfléchir, ne serait-ce que personnellement, puisque l’on connaîtra peut-être un jour nous-mêmes la perte de nos moyens. C’est pourquoi il a créé des consultations publiques nommées Habitats, qui dureront trois ans, où l’on tentera de répondre à cette question : « Comment voulons-nous habiter notre vieillesse ? ».

Car, selon lui, l’autre problème est qu’on ne veut pas penser à cela. Personne ne veut être vieux. Personne ne s’identifie aux vieux non plus, ce qui fait qu’on ne les voit pas et qu’on ne les entend pas, et Tout inclus s’applique à renverser cela.

Un certain frisson nous traverse l’échine devant cette pièce, quelques larmes coulent, mais on rit aussi, parce qu’on pense à nos parents et on finit aussi par penser à soi. J’ai seulement 20 ans de différence avec ma mère – elle m’a eue jeune.

Qui va s’occuper de nous quand nous serons vieux ? Il y a de quoi avoir peur quand on constate la crise aigüe du milieu de la santé, la pénurie de personnel, et combien ça va peser sur le PIB du Québec. Cet enjeu nous dépasse, et dépasse n’importe quel gouvernement. On est loin ici du réquisitoire contre les RPA, qui ont une réelle utilité dans ce vaste tableau, quand bien même faut-il surveiller cette industrie qui fait des milliards et en fera encore plus dans l’avenir, démographie oblige. Ce n’est pas pour rien que le dramaturge fait des parallèles avec les mines d’or de Val-d’Or, là où il a pu vivre son expérience immersive dans une résidence.

CHSLD, RPA, maisons intergénérationnelles, soins à domicile, milieux de vie diversifiés, logements sociaux, etc. : tout doit être mis sur la table. François Grisé nous dit qu’il n’y a pas de solution miracle, mais qu’il est possible de « faire mieux ».

Un vieil homme lui a expliqué que, dans la vie, « il faut faire face à la musique ». C’est ainsi qu’il décrivait son attitude envers son propre déclin et sa fin inéluctable.

Aurons-nous collectivement ce courage ou nous laisserons-nous frapper sans préparation par l’inévitable ? Après avoir vu Tout inclus, on ne pourra pas dire que nous n’avons pas été prévenus.

Dans la pièce, François Grisé avoue qu’il a senti un élan favorable pendant la première vague de la pandémie, quand tout le monde parlait des personnes âgées, mais qu’aujourd’hui, on dirait que ça fait trop « printemps 2020 ».

Ce n’est pourtant pas un buzz ni une mode : c’est notre destin.

Tout inclus est présentée jusqu’au 6 novembre chez Duceppe.