Quel immense plaisir j’ai eu à lire l’ouvrage de Michel Maltais, ancien membre de Kosmos, maison de production créée au début des années 1970 par une bande de jeunes hippies à qui l’on doit les premiers passages de Gentle Giant, de Genesis et de Pink Floyd au Québec.

Michel Maltais, qui a été vaguement chansonnier et accessoirement l’un des nombreux habitants emprisonnés lors de la crise d’Octobre, est l’un des cofondateurs de ce « collectif » qu’on a appelé Kosmos. Pourquoi la lettre K ? Parce que ça faisait king. Et parce qu’on voulait gentiment barber le producteur en puissance qu’était Donald K. Donald.

L’aventure de Kosmos commence par la rédaction du Manifeste kosmique total. Au départ, le groupe rassemble Michel Maltais, qui s’occupe de la publicité et de la promotion, Jean Bertrand, qui a la responsabilité du booking, Yves Savoie, qui assure la supervision technique, et Mado Bélanger, la précieuse assistante qui apprend à dire « hold on, please » au téléphone pour faire « bonne impression ».

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Le logo de la maison de production Kosmos a été conçu par Jean Bertrand et Michel Maltais.

Au fil du temps, d’autres membres se sont ajoutés à ce joyeux groupe qui suscite la curiosité des habitants de Saint-Isidore, où Kosmos a son quartier général. Parmi ceux qui fréquentent la maison située dans un rang, il y a Alain Simard. Le futur fondateur des Francos de Montréal et du Festival international de jazz de Montréal a été l’antenne montréalaise de Kosmos.

Après avoir présenté quelques groupes québécois émergents (Mashmakhan au cégep de Limoilou), les membres de Kosmos, dont la devise était « au boutte du boutte », se mettent en tête de produire Pink Floyd. L’agence responsable du groupe anglais refuse net sec leur offre et leur propose en retour de présenter Eric Burdon, connu pour son succès The House of the Rising Sun.

Les membres de Kosmos ne sont guère motivés, mais acceptent quand même cette proposition afin d’établir un meilleur contact avec les producteurs de Pink Floyd. Eric Burdon a été en représentation le 22 mai 1971 au Pavillon de la jeunesse, à Québec.

Les membres de Kosmos apprennent le métier de producteur à la dure. Quand ils présentent Savoy Brown, Cactus et Atomic Rooster à Lévis, ils se rendent compte que des centaines de billets de contrefaçon ont circulé. Eux qui s’efforcent d’offrir des spectacles à prix raisonnable se font rouler par leur clientèle.

Pink Floyd dans le noir

Kosmos vit un grand rêve quand arrive la signature d’un contrat avec Pink Floyd. Le groupe se produit le 9 novembre 1971 au centre sportif de l’Université de Montréal et le lendemain au Pavillon de la jeunesse, à Québec.

À Montréal, le spectacle se déroule merveilleusement bien devant 4500 spectateurs. À Québec, une foule encore plus nombreuse attend le groupe. Réputée pour la qualité sonore de ses spectacles, la formation fournit son équipement. Mais on demande à Kosmos de s’occuper de l’éclairage. Michel Maltais reçoit tout un choc en se rendant compte que ses collègues ont loué un équipement digne des discothèques.

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

L’affiche des spectacles de Pink Floyd à Montréal et à Québec en 1971 a été réalisée par Michel Maltais.

Jean Bertrand se souvient alors que le groupe avait joué dans le noir à Pompéi. « Ça va être unique et fantastique », lance-t-il sérieusement. Michel Maltais croit avoir la berlue. En moins de deux, il appelle le responsable de la technique au cégep de Limoilou.

« Monsieur Bergeron » comprend le désarroi de ces jeunes et accepte de leur prêter en cachette son équipement.

Cet après-midi-là, un monsieur pas loin de la retraite se fait complice de jeunes un peu fous pour permettre à des milliers d’autres de voir Pink Floyd.

Michel Maltais

Ne vous attendez pas à des détails juteux au sujet des vedettes du rock progressif dans cet ouvrage qui se lit comme un roman. Au mieux, vous tomberez sur quelques délicieuses anecdotes, comme celle où David Gilmour, meneur de Pink Floyd, demande dans un français hésitant où se trouve le « confort du sud ». Un membre de Kosmos accompagne le chanteur aux toilettes avant de comprendre que Gilmour faisait référence au Southern Comfort, sa boisson préférée.

En 1972, Michel Maltais et Jean Bertrand se rendent à New York dans une petite Volkswagen dans l’espoir de décrocher de grands noms. Dans une agence, ils essuient bien des refus, mais on leur soumet une liste au bas de laquelle apparaît le nom de Gentle Giant. Les deux jeunes producteurs sautent là-dessus comme deux affamés sur un buffet.

Aux villes de Québec et de Montréal, on ajoute Rimouski pour cette première grande tournée organisée par Kosmos. Comme Gentle Giant offre un spectacle conçu pour accueillir une première partie, la prestation à Rimouski prend fin au bout d’une heure au grand désespoir du public. Le ton monte, des bouteilles de bière sont lancées sur la scène.

Pour éviter la catastrophe à Québec et à Montréal, on ajoute une première partie composée de Plume et Cassonade. Finalement, on dira du spectacle du 7 octobre, à Montréal, qu’il a été le « show de l’année ».

En 1973, les membres de Kosmos apprennent avec horreur que Donald K. Donald a l’intention de programmer Pink Floyd au Forum de Montréal, territoire dont il a l’exclusivité. Ils sont démolis. Eux qui ont fait preuve d’audace et de courage pour produire ces groupes qu’aucun producteur ne voulait, voilà qu’ils se les font voler par un homme d’affaires qui n’a pas l’intention de se faire damer le pion par une bande de jeunes.

Goliath se dresse devant David.

Tout explose avec Genesis

Les membres de Kosmos n’ont pas le temps de nourrir leur désespoir, un appel téléphonique inespéré les requinque. On leur propose de produire Genesis ! Pour Kosmos, ce groupe est le nirvana, son Everest.

Il est décidé que le groupe britannique sera présenté dans de bonnes conditions, celles du chic Grand Théâtre. Pour convaincre le directeur de la salle, on affirme que Genesis fait du « théâtre musical », ce qui n’est pas faux.

Les employés du Grand Théâtre auront la surprise de leur vie en voyant, le 6 avril 1973, les premiers spectateurs arriver. Ils seront encore plus étonnés de devoir composer toute la soirée avec la consommation de marijuana à l’intérieur du théâtre, couvert de tapis.

Quand, à la fin de cette incroyable prestation où les pièces des disques Nursery Crime et Foxtrot sont interprétées, quatre détonateurs placés à l’avant-scène sautent pour créer un effet lumineux aveuglant, le chef machiniste se rue vers les panneaux électriques afin de couper le courant.

Heureusement, il est rattrapé par Michel Maltais, qui lui explique que c’est « dans le show ». Le même spectacle est présenté au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke, le 8 avril, avec le même bonheur.

Les membres de Genesis reviennent en novembre de la même année pour une autre tournée au Capitole, à Québec, au Massey Hall, à Toronto, et au centre sportif de l’Université de Montréal. Un souper est organisé dans la maison de Saint-Isidore avec les artistes.

La tournée de Selling England by the Pound a lieu en 1974 à Québec, à Montréal et à Ottawa. Après cela, les membres de Kosmos recevront un terrible camouflet en apprenant que Genesis serait dorénavant produit par l’incontournable DKD.

Kosmos dans la cour des grands

Les membres de Kosmos seront tentés de jouer dans la cour des grands quand, en juin 1975, ils s’associeront à DKD pour produire Pink Floyd à l’Autostade de Montréal. La journée du 26 juin se déroule comme dans un rêve. Pendant le spectacle, la pyramide qui sert de décor est majestueuse. Comme pour ajouter à la magie, une lune pleine et ronde surplombe la scène au moment où les musiciens attaquent The Dark Side of the Moon.

Après le spectacle, on apporte une valise remplie d’argent. On fait les comptes et on se sépare les profits. Un révolver est posé sur la table, raconte Michel Maltais.

Cette expérience, si belle fût-elle, laisse un goût amer aux membres de Kosmos. Après un spectacle difficile avec Gentle Giant (une panne électrique paralyse une grande partie de Montréal) à l’Autostade, le 29 août 1975, les membres de Kosmos descendront doucement du firmament.

Ces astres aux cheveux longs et parfumés au patchouli se disperseront. Certains partiront en voyage, d’autres, comme Alain Simard, resteront sur la voie du monde du spectacle.

Cinquante ans plus tard, leur histoire est formidablement bien racontée. Grâce à ce récit, les souvenirs de ceux qui ont connu cette époque sont gardés au chaud. Quant à notre mémoire collective, elle peut compter sur ce livre. Il s’acquitte bien de sa tâche.

Kosmos – Une aventure québécoise au temps du rock progressif

Kosmos – Une aventure québécoise au temps du rock progressif

Septentrion

248 pages