Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

J’aime dire que la meilleure façon d’avoir du succès avec nos placements est de les « oublier ».

C’est que le plus grand risque pour nos rendements n’est pas une récession ou une chute boursière, mais bien la personne que l’on voit en regardant dans le miroir chaque matin.

En « oubliant » nos placements, on s’assure de ne pas mettre nos vilains doigts dedans, de les vendre au mauvais moment, et de regretter plus tard de l’avoir fait.

Georges, un lecteur, a oublié un placement. Au sens littéral du terme. Pendant plus de trois décennies.

« J’avais acheté un placement dans un régime enregistré d’épargne-retraite [REER] en 1990, et je l’avais oublié alors que je travaillais à l’étranger », dit-il.

Ce n’est qu’à la fin de 2023 qu’une lettre envoyée par son institution financière lui a rappelé l’existence de ce placement.

La somme investie à l’origine n’était pas énorme : 2544,02 $.

Georges n’a jamais ajouté ni décaissé d’argent. Le montant final est le résultat de la croissance du placement, moins les frais de gestion, pendant 33 ans. Rien de plus, rien de moins.

À combien s’élevait son solde au 31 décembre 2023 ? C’est ici que l’histoire devient triste – ou révélatrice, selon la façon dont on la regarde.

Le solde final était de 7810,40 $.

Premier constat : c’est un rendement faible. Ça fait une moyenne de 3,45 % par année.

Vous allez me dire que ce n’est pas si mal, parce qu’il a sûrement dû faire un placement prudent. Le genre de choix qu’on fait quand on craint les chutes boursières, et qu’on recherche la protection d’un fonds d’obligations à court terme, par exemple.

Ce n’est pas le cas. Le fonds que possédait Georges au moment de vendre son placement était le fonds commun Mackenzie Bluewater Canadian Growth Fund Series A. Ce fonds détient des actions de grandes sociétés canadiennes et américaines, et aucune obligation.

Qu’est-ce qui s’est passé ?

Selon Mackenzie, le rendement composé annualisé du fonds depuis son lancement en janvier 1976 a été de 9,7 %.

Ian Gascon, président de Placements Idema, note que ce rendement de 9,7 % par année « est net de frais, donc après les frais de gestion », qui sont de 2,47 % par année pour ce fonds commun à gestion active.

Si Georges avait obtenu un tel rendement entre 1990 et 2023, le montant final de son placement s’élèverait à 54 000 $. Même s’il n’avait obtenu « que » 7 %, le solde serait de 23 700 $, soit trois fois la valeur réelle de son compte en 2023.

« Il y a quelque chose qui cloche ! dit M. Gascon. Est-ce que le fonds était détenu dans un compte qui comportait des frais d’administration, avec des ventes de parts périodiquement pour couvrir ces frais ? Ou alors d’autres frais se sont ajoutés au fil des années ? »

M. Gascon émet aussi l’hypothèse que, sur une aussi longue période, il est probable que plusieurs fonds aient été combinés dans le fonds actuel.

Peu de gens le réalisent, mais l’industrie des fonds communs a l’habitude de faire le « grand ménage » périodiquement dans ses fonds. Selon l’analyse de la firme S&P Dow Jones Indices, « 47 % des fonds communs de placement d’actions canadiennes ont fusionné ou ont été liquidés » sur une période de 10 ans se terminant en 2023.

« Cet investisseur a donc peut-être investi longtemps dans un fonds qui n’a pas du tout bien fait, et qui a été combiné avec un autre fonds, dit M. Gascon. Quand ça arrive, l’investisseur détient soudainement des parts d’un fonds avec un bel historique de rendement. Mais son historique de rendement à lui est moins élevé. Si c’est ce qui est arrivé, ce serait un bel exemple du biais de survie des fonds communs. »

Sans bien savoir ce qui s’est passé, Georges n’est pas heureux de la situation. Il a demandé des clarifications auprès de Mackenzie, qui me signale être en train de travailler à retracer le fil des évènements.

Entre-temps, Georges estime avoir « mal choisi » en investissant dans un fonds commun à frais de gestion élevés.

« Pour moi, cette somme oubliée a été très instructive », dit-il.

Je sais que j’irrite mes amis de l’industrie de la gestion d’actifs en parlant régulièrement des fonds négociés en Bourse indiciels (FNB) dans cette rubrique. Et je sais que le cas illustré ici est l’expérience d’une seule personne.

Mais c’est difficile de voir comment cet investisseur à long terme n’aurait pas été mieux servi par un simple fonds indiciel à frais de gestion modiques. Il aurait tout simplement obtenu le rendement du marché pendant 33 ans, en fonction de son intérêt pour le risque. Rien de plus, rien de moins.

Vous n’avez pas à vous fier à mon opinion. Fiez-vous à celle de Warren Buffett.

« Je crois que les résultats à long terme [d’un fonds indiciel] seront supérieurs à ceux obtenus par la plupart des investisseurs – qu’il s’agisse de régimes de retraite, d’institutions ou de particuliers – qui emploient des gestionnaires à honoraires élevés », a écrit le milliardaire Warren Buffett dans sa lettre aux actionnaires de 2014.

C’est pour cette raison qu’à sa mort, 90 % de l’argent que Warren Buffett laissera à sa femme sera investi dans un fonds indiciel Vanguard composé des plus grandes entreprises américaines. Le reste sera placé dans des bons du Trésor américain.

« Les petits et les grands investisseurs devraient s’en tenir aux fonds indiciels à faible coût », a déclaré le célèbre investisseur dans sa lettre annuelle de 2017.

Que voulez-vous, je suis comme ça. Quand Warren Buffett parle, je l’écoute !

Les fonds indiciels n’étaient pas courants au Canada en 1990, quand Georges a fait son placement. Mais ils existaient.

Richard Morin, président d’Archer gestion de portefeuille, a investi en 1991 dans le premier FNB indiciel au monde, le Toronto Index Participation Security (TIPS).

Lancé l’année précédente par la Bourse de Toronto, ce fonds composé des plus grandes sociétés canadiennes, et qui est depuis devenu le FNB iShares S&P/TSX 60 Index (XIU), a connu un rendement annualisé de 8,54 % depuis 1991. Ce fonds a des frais de gestion annuels de 0,18 %.

« Un placement de 1 $ dans ce fonds en 1991 vaut environ 14,94 $ aujourd’hui, en incluant le réinvestissement des dividendes », note M. Morin.

Ce n’est pas un calcul théorique. Richard Morin détient toujours ce placement dans son compte de courtage régime enregistré d’épargne-retraite (REER). Il ne l’a pas oublié : 33 ans plus tard, il ne l’a tout simplement jamais vendu.

S’il avait possédé un tel fonds, Georges aurait plus de 38 000 $ dans son portefeuille aujourd’hui, au lieu de 7810,40 $. Même en supposant que des frais de gestion annuels de 1 % aient été déduits par le conseiller qui lui a vendu le fonds, on arrive à un solde de plus de 28 000 $, soit près de quatre fois son solde réel – tout ça pour un degré semblable d’exposition au marché boursier.

La bonne nouvelle, c’est que, comme beaucoup de firmes, Mackenzie offre aujourd’hui des FNB indiciels, avec des frais de gestion annuels qui peuvent être de seulement 0,04 %.

La morale de cette histoire : si vous oubliez vos placements, assurez-vous de les oublier dans un fonds optimal pour vous.

Sinon, vous pourriez avoir une surprise dans quelques décennies.

La stratégie « platine » du REEE

Je vous parlais dimanche dernier de trois stratégies pour tirer parti du régime enregistré d’épargne-études (REEE). J’y expliquais que le scénario le plus payant – et que je qualifiais de « médaille d’or » – était d’investir 50 000 $ d’un coup, à la naissance de son enfant, et de ne plus contribuer par la suite.

Des lecteurs m’ont fait remarquer qu’une stratégie « platine » peut permettre d’espérer obtenir des rendements plus élevés encore. Comment ? Il s’agit de placer une partie des 50 000 $ dans le REEE à la naissance, et de laisser l’autre partie fructifier dans un compte non enregistré (si on a plus de place dans le compte d’épargne libre d’impôt (CELI), le REER, et aucune dette).

« Présumons le cas d’un investisseur ayant 50 000 $ à investir et un enfant qui vient de naître, écrit Hervé Alaurent. On investit alors 16 500 $ dans le REEE la première année, et 33 500 $ dans un placement non enregistré, qui servira à faire des cotisations annuelles » de 2500 $ au REEE, et ainsi toucher les subventions de Québec et d’Ottawa.

En supposant un rendement de 5 % après impôts dans le compte non enregistré et de 6 % dans le REEE, on arrive à un résultat d’environ 156 000 $ au bout de 18 ans. C’est près de 11 000 $ de plus que la stratégie « médaille d’or » que j’avais suggérée.

Sans doute que peu de parents ont 50 000 $ à investir au moment de la naissance d’un enfant. Mais ceux qui les ont peuvent avoir le beurre et l’argent du beurre avec cette stratégie « platine ».

Plusieurs lecteurs ont aussi demandé si des grands-parents pouvaient cotiser dans le REEE de leurs petits-enfants. La réponse est oui, pourvu qu’ils respectent les limites de cotisation fixées par le gouvernement.

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