Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement, la psychologie des investisseurs, la prise de décisions financières. Ses textes sont repris ici les dimanches.

Le marché des actions est sur le point de basculer. Le ralentissement économique américain risque d’être sérieux, et une crise financière est possible. Les investisseurs ont un mois ou deux pour se protéger.

Cette prévision du stratège boursier et économiste réputé François Trahan a de quoi retenir l’attention. Quand elle a été prononcée, devant un parterre de 120 analystes financiers réunis à Québec le 28 septembre 2016, les gens étaient étonnés.

« Ne tirez pas sur le messager », a lancé M. Trahan, selon ce qu’a écrit à l’époque le journaliste Louis Tanguay dans Finance et Investissement.

Si vous aviez été dans cette salle, auriez-vous été affecté par ces paroles ?

Auriez-vous vendu vos placements le temps de « laisser passer la tempête » ?

Si c’est le cas, vous auriez sans doute perdu de l’argent. Les marchés ont continué leur ascension. La croissance de l’économie américaine s’est poursuivie. Un an après cette prédiction, le S&P 500 était en hausse de 19 %, y compris les dividendes. Une somme de 10 000 $ investie dans un fonds négocié en Bourse (FNB) suivant le S&P 500 le jour de cette prédiction vaut plus de 20 000 $ aujourd’hui, un peu plus de six ans plus tard, pour une croissance annuelle moyenne de près de 12 %.

M. Trahan a fait jaser récemment lors de son passage sur le plateau de Gérald Fillion, où il a prédit une « apocalypse » économique cette année, à cause des effets de la hausse rapide des taux d’intérêt.

Je ne sais pas s’il aura raison ou s’il aura tort – même si je suis certain que, tôt ou tard, des krachs vont survenir. Mon but n’est pas de m’acharner sur François Trahan, qui ne fait que son travail, et qui le fait bien puisqu’il a gagné de nombreux prix en 25 ans de carrière sur Wall Street.

J’en parle pour vous prévenir : ce n’est pas parce que les grands stratèges de New York, Toronto ou Montréal font des prédictions que nous devons les écouter. Historiquement, l’approche la plus payante – et de loin – a tout simplement été de les ignorer.

Il faut comprendre que ces stratèges ne parlent pas à l’investisseur moyen. Leur public, ce sont les investisseurs institutionnels et des gestionnaires de portefeuille qui doivent rendre des comptes à court terme, et pour qui chaque soubresaut du marché est important.

Aussi, c’est fou de voir à quel point les stratèges se trompent. Pas juste un peu. Énormément. Chaque début d’année, les économistes des grandes firmes d’investissement de Wall Street donnent leurs prédictions quant à la valeur du S&P 500 en fin d’année. Voici ce que ça a donné pour l’année 2022 :

Et l’année 2022 n’a pas été exceptionnelle en matière de mauvaises prédictions. Chaque année, c’est la comédie des erreurs. La réalité surprend les économistes.

C’est que l’économie n’est pas menée par des colonnes de chiffres. Elle est menée par les décisions de milliards d’êtres humains. Et les humains sont difficiles à déchiffrer.

Bien franchement, je ne fais pas attention à ce que disent les économistes. Pensez-y. Vous avez tous ces économistes au QI de 160 qui passent leur vie à étudier le marché. Pouvez-vous me nommer un économiste ultrariche qui a fait fortune à la Bourse ? Non.

Warren Buffett, célèbre investisseur

Buffett cite l’exemple de John Maynard Keynes, l’un des plus grands théoriciens économiques de l’histoire et père de la macroéconomie, soit l’étude des grands courants économiques comme la consommation, l’inflation, le produit intérieur brut (PIB) et le chômage, notamment.

Déterminé à utiliser ses connaissances pour s’enrichir, Keynes a fait des placements à la Bourse et dans les devises dans les années 1920 et 1930. Il a perdu beaucoup d’argent, avant de changer de méthode et d’investir à long terme, avec plus de succès.

« Si vous regardez toute l’histoire des [économistes], ils ne gagnent pas beaucoup d’argent en achetant et en vendant des actions, mais les gens qui achètent et vendent des actions les écoutent. J’ai un peu de mal avec cela », dit Buffett.

Remarquez que les journalistes ne sont pas meilleurs que les économistes quand vient le temps de prédire l’avenir.

L’auteur financier Morgan Housel a noté que les mots « pandémie » et « virus » étaient introuvables dans les prévisions annuelles que le magazine The Economist a publiées en janvier 2020. Pas plus que les mots « Russie » et « Ukraine » ne figurent dans les prévisions pour l’année 2022 du même magazine.

« Il était impossible d’entrevoir ces deux évènements, écrit Housel. Mais c’est là le problème : les plus grandes nouvelles, les plus grands risques, les évènements les plus conséquents sont toujours ceux que l’on ne voit pas venir. »

J’ajouterais que les évènements que l’on voit venir, ceux qui font le plus peur, ne prennent souvent pas la forme à laquelle on s’attendait.

Depuis 10 ans, nous avons vécu la crise de la dette en Europe, l’arrêt du gouvernement fédéral américain, Trump, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, le Brexit, le coronavirus, des taux de chômage record, le retour d’Occupation double...

Un investisseur qui aurait investi 10 000 $ par année durant cette période dans un portefeuille de FNB composé à 70 % d’actions canadiennes, américaines et internationales et à 30 % d’obligations se retrouverait aujourd’hui avec plus de 152 000 $, pour une croissance annuelle moyenne de plus de 7 %. Et cela inclut l’une des pires décennies de l’histoire pour ce qui est du rendement des obligations.

Morgan Housel a une bonne formule pour décrire son approche en matière d’argent : « Épargnez comme un pessimiste, investissez comme un optimiste. »

C’est simple, mais ce n’est pas facile.

Surtout lorsqu’on fixe l’apocalypse dans les yeux.

La question de la semaine : Les prévisions économiques influencent-elles votre façon d’investir ? Recevez en primeur chaque mardi l’infolettre L’argent et le bonheur