Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement, la psychologie des investisseurs, la prise de décisions financières. Ses textes sont repris ici les dimanches.

J’aime lire sur la finance et l’investissement, et j’aime particulièrement lire des articles publiés il y a bon nombre d’années.

Rédigés dans le feu de l’action, ces articles sont comme des boîtes noires qui renferment les inquiétudes des gens à un point précis dans le temps. On peut apprendre beaucoup en les lisant.

Récemment, je suis tombé sur un excellent papier daté du 11 septembre 2010 écrit par ma collègue Stéphanie Grammond.

C’est le titre qui m’a frappé : « Les petits investisseurs délaissent les actions1 ».

Pas besoin de chercher longtemps pour comprendre pourquoi des investisseurs n’aimaient pas les actions en 2010. Le marché venait de vivre la pire crise financière depuis la Grande Dépression. De son sommet en octobre 2007, l’indice du S&P 500, qui représente les 500 plus grandes entreprises cotées en Bourse aux États-Unis, avait fait une chute de 53 % en moins de deux ans, pour s’établir à un point plus bas qu’il ne l’était 10 ans plus tôt.

Bref, acheter des actions à ce moment-là était aussi appétissant qu’aller fouiller au fond du bac à compost en espérant y trouver une carotte à peu près mangeable...

« Au Canada, les particuliers ont aussi déserté les parquets, écrit Stéphanie. Pendant ce temps, ils ont fait le plein de fonds d’obligations et de fonds équilibrés. »

Une personne citée dans l’article, Jean-Sébastien, 37 ans, expliquait se tourner vers les obligations parce que la crise financière qui secouait l’Europe à ce moment-là laissait présager d’autres chutes.

« On a vu ce qui s’est produit avec les banques pendant la crise du crédit. Maintenant, c’est la même chose, mais avec des pays », a-t-il confié.

Les petits investisseurs n’étaient pas les seuls à délaisser les actions en 2010 : un stratège du géant américain Citigroup a même annoncé dans un rapport la mort du « culte des actions » et proclamé l’avènement du nouveau « culte des obligations ».

L’examen et les réponses

On connaît la suite : le marché des actions a décollé en 2010, et n’a plus jamais regardé derrière. Un investissement de 10 000 $ dans un fonds qui reproduit l’indice du S&P 500 à ce moment-là valait plus de 49 000 $ au 31 janvier 2023, si on inclut le réinvestissement des dividendes. Une croissance moyenne de près de 14 % par année, soit l’une des meilleures périodes de l’histoire des marchés financiers américains.

Et les mêmes 10 000 $ investis en 2010 dans le fonds d’obligations Vanguard Total Bond Market ETF (BND) valent aujourd’hui un peu plus de 12 000 $, l’une des pires performances de l’histoire.

L’insulte finale : les investisseurs qui ont choisi les obligations en 2010 n’ont même pas pu dormir en paix, car dans la pire année, ce placement a chuté de 13 %, comparativement à 18 % pour le S&P 500.

Si je vous raconte ça, c’est parce qu’une fois qu’on a les réponses, c’est tentant de regarder l’examen et de dire que c’était facile.

Or, mettons-nous dans la tête d’un investisseur en 2010. Il vient de voir son portefeuille d’actions perdre la moitié de sa valeur en moins de deux ans – en plus de l’avoir vu globalement chuter pendant une décennie. Et il devrait ne pas réagir ?

On oublie à quel point la seule mention des États-Unis provoquait un haut-le-cœur en 2010. J’habitais aux États-Unis à cette époque, et je me souviens que de nombreux amis au Québec avaient pitié de moi.

« Les États-Unis ne vont jamais s’en remettre, me disait-on en référence à la crise économique de 2008-2009, qui a fait exploser le chômage aux États-Unis et ailleurs. Leurs problèmes économiques et sociaux sont juste trop importants. »

À ce moment, beaucoup d’investisseurs étaient donc prêts à se débarrasser de leurs actions pour acheter des obligations. Bref, à jeter les placements « poison » pour acheter des placements « élixir ».

Mais les marchés ne sont pas statiques. Ce qui est poison une année ne le sera peut-être pas l’année suivante (ou la décennie suivante). Et l’élixir n’a pas toujours les propriétés magiques qu’on lui attribue.

Par définition, un portefeuille diversifié aura toujours des composantes qui performent moins bien, et même des composantes qui performent de façon désastreuse. C’est notre assurance pour l’avenir : savoir que, peu importe ce qu’il contient, nous pourrons en profiter.

Aujourd’hui, ce sont les actions internationales qui sont mal aimées parce qu’elles se sont fait battre par les actions américaines depuis 10 ans. Cette tendance pourrait-elle un jour s’inverser ? Aucune idée, mais à mon avis, c’est là que brillent les fonds tout-en-un : ils retirent tout ce jeu de devinettes par rapport à l’avenir des marchés.

Par exemple, le fonds FNB BMO toutes actions (ZEQT) contient des actions américaines, canadiennes et internationales. Donc chaque dollar qu’on y investit est automatiquement diversifié. Bon nombre d’autres déclinaisons de ce fonds contiennent aussi des obligations, comme ZGRO (20 % d’obligations) et ZBAL (40 % d’obligations), ce qui les rend moins volatiles lors des chutes boursières.

Tout cela nous rappelle que les meilleurs investisseurs sont généralement ceux qui s’intéressent le moins à leur portefeuille de placements. Ils sont diversifiés et font leurs achats quand ils ont de l’argent à placer, et c’est tout.

Ma collègue Stéphanie avait trouvé une conclusion parfaite à son article de 2010. Elle faisait le lien entre le sentiment « anti-action » qui régnait et celui qui avait frappé trois décennies plus tôt, à la fin des années 1970, quand le magazine financier Business Week avait proclamé en page couverture la « mort des actions » après des années de chutes brutales.

« Peu après, la Bourse a amorcé un long cycle haussier », observait-elle.

Plus ça change...

1. Lisez l’article « Les petits investisseurs délaissent les actions » Recevez en primeur chaque mardi l’infolettre L’argent et le bonheur