Nouvelle retraitée à 59 ans, Carole* a l’impression de tomber dans le vide depuis qu’elle n’a plus de paie toutes les deux semaines. À un point tel qu’elle a déjà réclamé sa rente du RRQ.

La situation

Avant que sa mère ne s’éteigne l’automne dernier, Carole*, célibataire et sans enfants, songeait déjà à prendre sa retraite à cause de la forte pression qu’elle subissait au travail. Cet évènement l’a incitée à passer à l’acte.

Comme elle n’a plus de revenu fixe, à part les 1040 $ par mois qui proviennent du loyer de son duplex, Carole a déjà fait la demande pour obtenir sa rente du Régime de rente du Québec (RRQ) à 60 ans.

« Ma mère est morte à 88 ans, mais on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve, explique-t-elle au téléphone. Ça semblait plus avantageux de la prendre à 60 ans. Mes sœurs l’ont toutes prise à 60 ans et je n’aurai plus de revenus qui vont rentrer. »

Carole n’a pas de régime de retraite de son ancien employeur.

La nouvelle retraitée a donc sorti sa calculatrice et imaginé des scénarios. Est-ce qu’elle pourrait laisser ses régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER) dans ses placements et vivre des intérêts qui lui seraient versés dans son compte d’épargne ?

Évidemment, l’inquiétude liée aux marchés doit être considérée.

« Je m’apprêtais à prendre ma retraite et, quand j’ai vu que mes fonds communs de placement avaient chuté de 70 000 $, j’ai failli perdre connaissance », s’exclame Carole pendant la conversation.

« J’ai couru à ma caisse pour voir la personne qui s’occupe de mes placements et je lui ai dit : je ne peux pas prendre de risques, alors tu enlèves mon argent de ce fonds-là et tu gèles ça dans un placement garanti à 4 % d’intérêt », raconte-t-elle.

Sa mère a cependant légué à tous ses enfants une bonne somme d’argent. « J’ai envie d’en donner un peu à mes nièces qui sont maintenant dans la quarantaine pour qu’elles puissent s’acheter une propriété. Mais est-ce qu’elles vont devoir payer de l’impôt sur ce don en argent que je vais leur faire ? », questionne-t-elle.

« Et j’aimerais aussi savoir si c’est une bonne idée de mettre le reste de l’argent de l’héritage dans mes REER. Il me reste encore beaucoup d’espace. »

Les chiffres

Carole

Régime de retraite d’un employeur : aucun

RRQ à 60 ans : 836 $ par mois

RRQ à 65 ans : 1306 $ par mois

Régime enregistré d’épargne-retraite (REER) : 700 000 $

Compte d’épargne libre d’impôt (CELI) : 40 000 $

Compte d’épargne : 25 000 $

Duplex : payé 260 000 $ en 2008, valeur estimée 900 000 $

Revenus de location : 1040 $ par mois

Coût de vie annuel estimé : 40 000 $

L’analyse

Charles Rioux Rousseau, directeur de la gestion de patrimoine chez Finances TI360 à Québec, s’est penché sur le dossier. D’entrée de jeu, il comprend cette inquiétude qui habite bon nombre de Québécois comme Carole.

« Elle vit un grand changement, souligne le planificateur financier. Avant, elle recevait automatiquement un salaire fixe toutes les deux semaines alors qu’à la retraite, ce n’est plus le cas. Elle doit maintenant trouver une façon de recevoir les sommes dont elle a besoin chaque mois. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Charles Rioux Rousseau, directeur de la gestion de patrimoine chez Finances TI360 à Québec

La bonne nouvelle, c’est que Carole a assez d’économies pour assurer un coût de vie annuel de 40 000 $ jusqu’à 96 ans, et ce, sans vendre le duplex dans lequel elle habite. Le planificateur n’a même pas inclus dans ses calculs l’héritage qu’elle recevra d’ici un an.

Mais comment organiser le décaissement ? Carole voudrait qu’on ne lui verse dans son compte que les intérêts de ses REER.

« En théorie, ç’a l’air facile de dire je fais 4 % d’intérêts et on me verse les rendements chaque mois, explique Charles Rioux Rousseau. Mais si tu as un portefeuille diversifié avec des fonds communs de placement, les versements ne seront pas toujours égaux, parce que les marchés montent et descendent. »

La meilleure option ? Faire un plan précis de décaissement, élaboré par la personne qui s’occupe de nos placements, poursuit-il. On établit la somme dont elle a besoin chaque mois pour financer son coût de vie, on calcule l’impôt, on fait des déductions à la source et on organise des versements dans son compte tous les mois, explique-t-il.

Avec une bonne planification, Carole n’aura pas à payer de l’impôt par acomptes provisionnels.

Ce n’est pas parce qu’on devient retraité sans régime de retraite d’un employeur qu’on ne peut pas avoir une paie régulière comme un employé.

Charles Rioux Rousseau, directeur de la gestion de patrimoine chez Finances TI360 à Québec

Dans la stratégie, il faut absolument tenir compte de l’impôt, prévient l’expert.

Carole devra retirer environ 30 000 $ de REER chaque année jusqu’à 65 ans et un peu plus après 71 ans avec les retraits minimums obligatoires.

En déclarant entre 30 000 $ et 40 000 $ par année, elle se tient dans la tranche d’imposition la plus avantageuse pour sa situation selon les courbes de Laferrière.

« L’année où elle encaisse l’héritage, elle doit aussi retirer des REER pour profiter de toutes les exemptions d’impôts auxquelles elle a droit. »

Déclarer zéro revenu serait une erreur, car la première tranche de 15 000 $ n’est pas imposable.

Les questions d’héritage

Lorsqu’elle recevra son héritage, le planificateur lui suggère de faire tout de suite ses dons et de remplir ses comptes d’épargne libre d’impôt (CELI).

« Si elle fait un don à ses nièces, elles ne seront pas imposées. C’est un don en argent, il n’y a pas de formalité, c’est comme un cadeau. »

Bourrer ses REER ?

Après avoir fait ses dons et rempli son CELI, devrait-elle utiliser tous ses droits de REER restants ?

« Non », lance le planificateur catégorique.

« C’est illogique de penser qu’on va venir déduire un montant de REER plus élevé que les revenus qu’on déclare pour économiser de l’impôt. »

« Si elle était encore en emploi avec un salaire élevé, oui, la cotisation aurait valu la peine. »

Les droits REER restants pourraient être utilisés si elle vend son duplex avant 71 ans.

Où placer le non-enregistré ?

Où devrait-elle placer le reste de l’argent de l’héritage qui deviendra de l’épargne non enregistrée ?

« Si elle met 100 000 $ dans un placement garanti à 4 %, elle sera imposée sur l’intérêt chaque année. Elle aura 4000 $ de revenus d’intérêts qui s’ajouteront à ses autres revenus. »

« En revanche, si c’est en actions et qu’on génère du gain en capital et du revenu de dividende, ça devient plus intéressant sur le plan de la fiscalité. Le gain en capital est imposé à seulement 50 % et il n’est pas généré chaque année, seulement lors de la vente de l’actif. »

Carole doit évidemment respecter son profil d’investisseur prudent.

Annuler la demande de RRQ à 60 ans

« Ce qui m’embête, c’est qu’elle a déjà demandé sa rente de la RRQ à 60 ans. Il aurait été préférable d’attendre quelques années, affirme le planificateur, parce que la rente est indexée à l’inflation. »

Par le passé, l’inflation n’avait pas l’impact qu’on connaît ces jours-ci.

L’écart entre la rente demandée à 60 ans et celle qu’elle aurait à 65 ans s’élève à 500 $ par mois. Si Carole profite de sa rente au-delà de ses 79 ans, elle recevra plus d’argent au total en commençant les retraits à 65 ans.

« On a six mois pour changer d’idée, avertit Charles Rioux Rousseau. Mais il faut rembourser les sommes qu’on a reçues. »

 * Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, le prénom utilisé est fictif.

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