La plus grande salle du palais de justice de Montréal a accueilli toute la journée mardi des dizaines d’avocats d’à peu près tous les grands cabinets pour une histoire de coupons rabais de 75 $. Une affaire qu’on pourrait qualifier de petite et de grande à la fois.

Pour les automobilistes, un coupon de 75 $ à utiliser chez son concessionnaire, ce n’est pas la mer à boire.

Pour les 150 commerçants qui ont signé l’entente à l’amiable prévoyant le versement de cette indemnité, c’est moins anecdotique : la somme totale théorique atteint 35 millions de dollars. Tout près de 500 000 Québécois ont été avisés qu’ils pourraient recevoir un coupon.

Pour ceux qui s’intéressent à la réputation des actions collectives et à la protection des consommateurs, c’est une cause qui suscite beaucoup d’intérêt et un certain nombre de critiques. D’ailleurs, l’Office de la protection du consommateur (OPC) s’est présenté devant le juge pour lui faire part de ses préoccupations. Même si la loi le lui permet, c’était la toute première fois qu’elle se prévalait de ce droit.

D’ailleurs, le juge Sylvain Lussier, particulièrement sympathique et même taquin par moments, a remercié l’Office d’être présent en rappelant qu’en temps normal, il est laissé à lui-même pour se faire une tête sur les règlements qui lui sont présentés par deux parties qui les défendent. « Dans certains dossiers, d’ailleurs, on se demande pourquoi l’Office n’est pas là… »

En règle générale, les tribunaux approuvent les ententes à l’amiable.

De 2020 à 2023, une seule demande d’approbation a été rejetée par la Cour supérieure, selon le Fonds d’aide aux actions collectives.

C’était dans le dossier d’UberEats, car l’entente n’indemnisait aucun consommateur. Ce printemps, le Tribunal a rejeté l’entente conclue entre Dollarama et LPC Avocats qui lui reprochait de ne pas avoir inclus les écofrais dans ses prix, mais cela demeure exceptionnel1.

Cette fois, ce n’était pas gagné d’avance, comme je l’ai raconté il y a quelques jours2.

Le cabinet Lambert Avocats, qui pilote le dossier, a bien sûr vanté les mérites du « compromis » qu’il a conclu en le qualifiant de « simple et efficace ». Les consommateurs n’auront pas à transmettre de preuves ou de documents ni à remplir de formulaire de réclamation pour obtenir leurs 75 $. Il leur suffit de se présenter chez le concessionnaire, ce qui évite de « créer de la frustration chez les automobilistes » qui n’ont pas conservé leurs documents. De plus, le crédit est transférable à autrui et sans date limite.

MJimmy Lambert a aussi plaidé que le taux d’utilisation du crédit sera élevé puisqu’il est coutumier de se rendre chez le concessionnaire. « Une automobile exige un entretien continu. Il y a un besoin récurrent, systématique. » L’entente et la médiatisation de l’affaire ont par ailleurs « chamboulé » toute l’industrie, qui a modifié ses pratiques, au point que Lambert Avocats ne reçoit plus de plaintes d’automobilistes forcés de payer leur véhicule plus cher que le prix annoncé en raison de l’ajout de frais en tous genres.

En somme, MLambert s’est dit « fier » et « pas gêné » de se présenter en cour avec cette entente « conforme à la jurisprudence ».

« Mais vous n’avez pas convaincu l’Office ! », a spontanément répliqué le juge Sylvain Lussier avec un petit sourire.

Le plus gros souci de l’OPC est que le crédit ne soit utilisable que chez un seul concessionnaire, celui où le véhicule a été acheté. « Si j’ai vendu ma Honda et que je possède maintenant une BMW, je n’irai pas chez Honda avec ma BMW », a plaidé son représentant, l’avocat Marc Migneault, en qualifiant le coupon de simple « indemnisation potentielle ». Le même problème se pose pour ceux qui ont déménagé loin de leur ancien concessionnaire.

« Rendre le crédit disponible n’importe où aurait été non gérable. Si vous n’êtes pas content, donnez-le », a plaidé l’un des avocats des concessionnaires qui ont pris la parole au nom des autres, François-David Paré, du cabinet Norton Rose Fulbright.

L’Association pour la protection des automobilistes et l’Union des consommateurs n’ont pas réussi à se trouver un avocat pour faire valoir leur point de vue au juge Lussier. Mais les deux organisations m’ont dit qu’elles déploraient notamment l’absence de suivi ou de reddition de comptes qui permettrait de savoir à quel point les coupons ont coûté cher aux concessionnaires.

Cette critique évoquée par l’OPC a attiré l’attention du magistrat, qui s’est demandé s’il pouvait « rajouter certaines exigences de cette nature » dans l’entente. En règle générale, les juges ratifient ou rejettent les accords sans les modifier. MLambert était ouvert à l’idée d’ajouter une certaine forme de bilan dans l’entente conclue avec les 150 marchands d’autos. Mais leurs avocats n’étaient pas tous de cet avis. Surtout, ils ne voulaient pas avoir à sortir d’argent de leur poche. Ce sera un coupon ou rien, ont-ils insisté.

« C’est sûr que si je réalise au bout de trois ans qu’il y a 1 million de dollars [de coupons utilisés sur 35 millions], on verra quelles sont les mesures à prendre », a tranché le juge en appelant les parties à réfléchir à la question d’un « jugement de clôture » dans les prochains jours.

Selon MLambert, si cette entente est rejetée, les avocats ne voudront plus prendre le risque de piloter des actions collectives pour défendre les consommateurs en matière d’affichage des prix (art. 224 c de la Loi sur la protection du consommateur) et faire changer les pratiques des commerçants. Car les deux seules causes déjà entendues sur le fond – Air Canada3 et Expedia4 – n’ont pas fonctionné. « On va toujours dire au monde d’appeler l’Office de la protection dy consommateur ! Est-ce qu’ils ont les ressources ? »

Compte tenu de la grande créativité des avocats spécialisés dans les actions collectives, je ne doute pas de leurs capacités à se trouver d’autres types de causes pour faire vivre leur cabinet. Mais si ce scénario se réalisait, il faudrait que l’Office serre la vis et que les amendes imposées aux entreprises fautives soient beaucoup plus dissuasives… ce qui pourrait déjà être fait.

1. Lisez « Attendez-vous vos 15 $ de Dollarama ? » 2. Lisez « Le coupon de 75 $ sera contesté » 3. Consultez la cause sur Air Canada 4. Consultez la cause sur Expedia