La crédibilité des actions collectives en matière de consommation est déjà fragile. Et ce n’est pas le crédit de 75 $ censé être donné aux 500 000 Québécois forcés de payer des frais en achetant leur véhicule qui améliore les choses. D’ailleurs, cette entente négociée à l’amiable sera contestée, ai-je appris. L’Office de la protection du consommateur pourrait aussi se pointer au tribunal, ce qu’il n’a jamais fait.

La loi est claire : les commerçants du Québec ne peuvent pas exiger un prix supérieur à celui annoncé. Il leur est donc interdit d’ajouter, sur une facture, des frais obligatoires pour ceci ou cela ou autres choses.

Or, au fil des années, les concessionnaires auto ont fait preuve d’une impressionnante créativité pour imposer toutes sortes de frais à leur clientèle. Pour la préparation, la documentation, le paiement comptant, l’administration et même pour une trousse de départ.

Le coût moyen variait entre 300 et 600 $, mais pouvait atteindre 1695 $, comme le montrent les accusations portées contre Grenier Chevrolet Buick GMC, à Terrebonne. L’entreprise a plaidé coupable il y a quelques jours et payé une amende de 12 000 $.

Cette multitude de frais bidon a provoqué le dépôt de quatre demandes d’actions collectives visant 220 concessionnaires et marchands de véhicules d’occasion. Une entente à l’amiable a été conclue en mars avec 150 de ces concessionnaires : leurs clients recevront un crédit de 75 $, si le tribunal approuve ce « règlement coupon ».

Un taux d’utilisation de 100 %, ce qui n’arrivera jamais, leur coûterait environ 35 millions. Au départ, l’affaire était évaluée à 500 millions⁠1.

C’est mieux que rien, diront tous ceux qui ne prendraient jamais le temps de poursuivre aux petites créances pour récupérer leur dû. Mais deux organismes de défense des consommateurs voient les choses autrement.

L’Association pour la protection des automobilistes (APA) juge que ce coupon de 75 $ « ressemble à une campagne de fidélisation maquillée ». Son président George Iny croit que le tribunal devrait rejeter l’entente pour plusieurs raisons, tout comme l’Union des consommateurs. Les deux organisations espèrent pouvoir le dire au juge. Elles ont aussi demandé au président de l’Office de la protection du consommateur (OPC) Denis Marsolais d’intervenir, ce que la loi lui permet de faire. S’il s’exécute, ce sera une première dans l’histoire de l’OPC, m’a-t-on confirmé. Sa décision n’est pas encore prise.

Tant l’APA que l’Union des consommateurs estiment que le règlement négocié par Lambert Avocats n’est pas à l’avantage des automobilistes et qu’il aura « un effet préjudiciable sur la réputation et l’efficacité des actions collectives en tant que mécanisme de protection des consommateurs ».

Entre autres critiques : les coupons sont non monnayables, la valeur des coupons non utilisés restera dans les poches des concessionnaires et personne ne contrôlera la distribution par les commerçants de ces fameux coupons.

On ne saura donc jamais combien de Québécois les ont utilisés et à quel point les concessionnaires ont payé pour la faute alléguée.

L’un des automobilistes qui pourraient obtenir le coupon de 75 $, Hubert Lamontagne, a transmis son opposition au règlement. La faiblesse du crédit figure parmi ses reproches puisqu’un homme a obtenu le remboursement des frais payés (1518 $) et des dommages punitifs de 500 $ en poursuivant aux petites créances.

« Les membres du groupe ne devraient pas subir une si grande disparité de résultats entre faire valoir leurs droits sans avocat aux petites créances (2018 $) et être représentés par avocat dans une action collective (75 $) », écrit M. Lamontagne, un avocat qui travaille pour l’APA. De plus, il juge que ce règlement est « une belle opportunité d’affaires » puisque les concessionnaires auront le potentiel de contacter 500 000 personnes pour les encourager à venir sur place.

C’est sans compter qu’on ne peut pas faire grand-chose avec 75 $ chez un concessionnaire, à part s’acheter des essuie-glaces et de la marchandise promotionnelle comme des tasses, des porte-clés, des toutous et des casquettes. Faire de la publicité au marchand qui vous a surfacturé, ça vous dit ?

Bien sûr, on peut réduire sa facture lors d’un changement d’huile ou de pneus, les deux meilleures options, sans doute. Le crédit pourrait aussi être utilisé sur le coût d’une réparation.

Il sera intéressant d’entendre les arguments en faveur du règlement qui seront plaidés par l’avocat qui pilote le dossier, Jimmy Ernst Jr. Laguë-Lambert. Cette « super belle entente pour les membres » a été « signée dans les règles de l’art », m’a-t-il dit.

Les « règlements coupons » sont critiqués depuis longtemps, notamment parce que l’indemnisation est conditionnelle à un achat auprès de l’entreprise qui a possiblement enfreint la loi et lésé ses clients. C’est assez contradictoire, quand on y pense. Aussi, le taux d’utilisation est très faible, aussi bas que 0,54 % dans un cas survenu aux États-Unis, mentionnait un rapport⁠2 étoffé de 101 pages d’Option consommateurs sur la question.

Règle générale, les juges approuvent les règlements convenus entre les parties. Mais des contestations ont déjà fonctionné. C’est arrivé en 2022 dans l’affaire Uber Eats parce qu’aucun consommateur n’était dédommagé⁠3.

Mon collègue Yves Boisvert a déjà critiqué⁠4 « l’obscène industrie de l’action collective », parce qu’elle engraisse des avocats qui s’attaquent à des causes parfois frivoles. Des juges ont d’ailleurs refusé des ententes en dénonçant les honoraires indécents que des cabinets s’étaient octroyés.

À l’évidence, certains juristes poussent le bouchon un peu loin. Mais dans ce cas-ci, l’importance de la cause est indéniable et c’est justement pourquoi elle requiert un règlement à la fois plus cohérent avec les dommages subis par les clients et plus dissuasif, car la mode des frais continue.

1. Lisez l’article de Driving « Frais illégaux : 75 $ de crédit si vous avez acheté un véhicule chez ces concessionnaires », qui fournit la liste des concessionnaires visés 2. Consultez l’étude d’Option consommateurs « Les règlements coupons : la justice devient-elle un programme de fidélisation ? » 3. Lisez l’article « Actions collectives contre Uber Eats : victoire des étudiants de l’UdeM » 4. Lisez la chronique « L’obscène industrie de l’action collective »