Pour bien des avocats engagés dans l’industrie de l’action collective, trop, ce n’est pas encore assez.

Après des années d’abus, les juges commencent enfin à sonner la fin du buffet d’honoraires à volonté.

Coup sur coup, deux juges de la Cour supérieure viennent de refuser des ententes dans des actions collectives en dénonçant les honoraires carrément indécents que s’étaient ménagés les bureaux d’avocats.

Dans l’affaire concernant les Clercs de Saint-Viateur, le bureau Dufresne Wee voulait ponctionner 8 des 28 millions négociés en faveur des victimes d’agressions sexuelles par ces communautés religieuses.

Même en croyant que le travail effectué représente véritablement 4279 heures, comme le prétendent les avocats, cela équivaut à un taux horaire de 1636 $ — plus taxes, cela va de soi.

J’allais dire « astronomique », mais vu les dernières images beaucoup plus claires des confins de l’Univers, je dirai tout de même que 1636 $ l’heure, c’est un taux croquignolet.

En réalité, selon les taux déclarés au départ aux victimes (250 $ l’heure), les avocats de ce bureau ont travaillé pour environ 1 million de dollars. Le cabinet s’octroyait donc une « prime » de presque 6 millions — oui, six fois plus. Il faut dire que devant la cour, le cabinet a étalé de nouveaux taux horaires par avocat, selon leur expérience. Même avec ces taux revus et corrigés, on arrive à une « prime » de 5 millions.

Le juge Thomas Davis a cité les passages du Code de déontologie des avocats sur la raisonnabilité des honoraires. Il a conclu que le tout est « excessif » et les a renvoyés chez eux.

Évidemment, pendant ce temps, devinez qui attend d’être compensé pour les abus sexuels, dont certains remontent aux années 1930 ?

Quelques semaines plus tôt, le juge Daniel Dumais a lui-même amputé les honoraires négociés du cabinet Bouchard+Avocats dans l’affaire du système antipollution de Volkswagen.

Sur une somme de 6,7 millions devant être affectée à des « projets environnementaux », le cabinet prélève 30 %, c’est-à-dire 2,34 millions avec les taxes.

« Cela signifie un taux moyen pour tous, avocats, stagiaires et techniciens, d’environ 1000 $ de l’heure, calcule le juge Dumais. Dans l’intérêt des membres, c’est trop. Il y a de l’exagération dans l’air. »

Le juge diminue la somme de seulement 20 %, ce qui demeure fort généreux, compte tenu des feuilles de temps pas trop précises et des taux « majorés ».

Le juge Dumais avait ce message pas souvent envoyé par les tribunaux : « L’industrie de l’action collective, car c’est ce qu’elle est devenue, doit réaliser qu’il y a des limites et ne pas perdre de vue sa raison d’être. »

Oui, une industrie, un business juridique qui met la veuve, l’orphelin et son chien malade en vitrine, mais qui se ménage de juteux arrangements financiers à même les sommes négociées pour ces victimes.

Les avocats, pour justifier leur prime dans les actions collectives, vous diront qu’ils financent le processus : ils ne sont pas payés au départ et risquent de tout perdre s’ils échouent.

À cela je réponds : ça dépend. Dans le cas des Clercs de Saint-Viateur, une action avait déjà été conclue pour des faits similaires. C’était un risque assez faible, et calculé.

Ensuite, il existe un organisme créé justement pour financer ces recours : le Fonds d’aide à l’action collective (FAAC). D’après son plus récent rapport annuel, sur les 566 actions collectives présentement actives au Québec, 288 ont obtenu du financement du FAAC. Un fonds autofinancé qui est par ailleurs en excellente santé financière. Le Fonds est là justement pour les cas où l’intérêt public bénéficierait d’une action collective.

La plupart des actions collectives se concluent par un règlement, donc sans procès. Le terrible « risque » couru par ces bureaux ne m’émeut pas particulièrement.

Par ailleurs, les actions collectives ne sont pas toujours au bénéfice de victimes d’agression sexuelle ou de sang contaminé. Elles sont souvent des cas de droit des consommateurs et devraient être gérées comme telles par les organismes gouvernementaux. Si un bureau travaille 2000 heures dans une affaire qui devrait être gérée par les avocats de l’État, c’est une très mauvaise idée de les récompenser.

Le cas de Volkswagen est un excellent exemple. La multinationale automobile a versé 196,5 millions en amende au Canada pour avoir trafiqué son système antipollution sur les voitures diésel. Là-dessus, 50 millions ont été versés au Québec pour des projets environnementaux.

Voulez-vous me dire en quoi un règlement privé subséquent de 6,7 millions entre « tous les Québécois » et Volkswagen sert l’intérêt public ? L’argent que les avocats et le FAAC ne toucheront pas ira à « des projets au bénéfice de l’environnement ».

C’est pas joli, rien qu’un peu, ça, le « bénéfice de l’environnement » ? Voyez-vous comme moi pousser des arbres un peu partout et voleter des bécasseaux ?

Sérieusement, une fois les autorités de l’État passées comme il se doit, tout le reste ne sert qu’à faire rouler l’industrie de l’action collective et à faire vivre des avocats. Qu’au moins on ne leur donne pas une prime…

Quant au drame des mangeurs de sous-marins Subway qui ne savent pas s’ils mangent du poulet ou du poulet avec du soya, n’est-ce pas plutôt à l’Office de la protection du consommateur de s’occuper de ça ?

La panne de Rogers était à peine terminée que des avocats s’étaient précipités dans les palais de justice partout au Canada — car en la matière, c’est premier arrivé, premier servi. Quand un règlement aura lieu, pour cette cause qui somme toute est gagnée d’avance, il ne manquera pas d’avocats pour nous dire que les 30 % du montant final sont tout à fait justifiés, vu le risque et le travail encourus.

L’action collective demeure un outil d’accès à la justice, j’en conviens.

Gérer une action collective contre une communauté religieuse pour des faits s’étalant sur près d’un siècle représente en effet un travail colossal et nécessaire socialement. Ça n’autorise pas la facturation fantasmagorique.

Dans de très nombreux cas, pour ne pas dire la majorité, l’action collective est devenue un outil d’accès aux honoraires.

La bonne nouvelle, c’est que des juges commencent à nommer cette « industrie » et à calmer — un peu – quelques outremangeurs au buffet.