Imaginez le genre de projets. Le Québec verra pousser des centaines d’éoliennes sur un territoire grand comme l’île de Montréal. Pas seulement une fois, mais chaque année pendant les 10 prochaines années.

C’est le grand défi que nous impose la nécessaire décarbonation de notre économie, rien de moins.

Et c’est dans ce contexte qu’Hydro-Québec annonce un changement majeur de sa stratégie. Désormais, la société d’État compte être le maître d’œuvre de l’essentiel des nouveaux projets au Québec, alors que c’est le privé qui l’a principalement été depuis 20 ans, par appel d’offres.

Dit autrement, le PDG Michael Sabia nous annonce presque la nationalisation du développement éolien au Québec. Wow !

Plus précisément, Hydro-Québec doit ajouter 1000 mégawatts (MW) de puissance éolienne à son parc chaque année d’ici 10 ans pour atteindre sa cible de 10 000 MW. Le rythme devra être cinq fois plus rapide que celui des 20 dernières années.

Pourquoi Hydro veut-il devenir le maître d’œuvre ? Pour trois raisons, essentiellement, explique son PDG.

D’abord, le Québec ne pourra atteindre de telles cibles en éparpillant les petits projets du privé sur le territoire. Pour y arriver, la société d’État juge qu’il faut développer d’immenses projets de 1000 MW chacun ou plus, qui s’étendent typiquement sur une superficie de quelque 500 kilomètres carrés, biodiversité oblige, soit l’équivalent de l’île de Montréal.

À ce jour, les projets du privé ont totalisé 4000 MW, variant entre 21 et 350 MW chacun. Le projet moyen développé depuis 1999 par le privé a été de 92 MW, soit 10 fois plus petit que les parcs projetés par Hydro.

Ces mégaprojets — et c’est la deuxième raison — permettront à Hydro de réduire les coûts de l’ordre de 20 % à 25 %, grâce à des économies d’échelle, affirme Michael Sabia. « C’est un chiffre que nous vivons actuellement », a-t-il dit en conférence de presse, faisant allusion aux projets dans les cartons d’Hydro.

De telles réductions sont possibles quand un seul gros acheteur comme Hydro négocie avec des turbiniers, par exemple, surtout en cette ère où la planète entière, affamée d’éoliennes, encombre les chaînes d’approvisionnement.

Ces énormes projets, qu’on veut développer sur des terres publiques, permettront aussi à Hydro-Québec de mieux planifier ses nouvelles lignes de transport d’électricité, ce que de petits projets éparpillés rendent difficile.

Le corollaire de ce développement majeur — c’est la troisième raison —, c’est l’obligation d’obtenir l’indispensable acceptabilité sociale pour chacun des mégaprojets.

Hydro fait le pari que les Québécois feront davantage confiance à la société publique qu’aux promoteurs privés. Surtout, Hydro développera ces projets en partenariat avec les villes et les communautés autochtones. Et il ne s’agira pas de partenariat de façade : les parties auront une participation directe au capital, par exemple un tiers chacun.

Les partenariats n’immuniseront pas les projets contre les critiques — des BAPE continueront d’avoir lieu —, mais ils sont un passage obligé pour les amoindrir. « Elles sont la clé du succès », croit Michael Sabia, qui dit répondre aux préoccupations des nombreuses personnes consultées (quelque 600 de tous les milieux) depuis six mois.

D’ailleurs, la nouvelle stratégie a été accueillie très positivement par l’Union des municipalités du Québec, entre autres, qui juge qu’elle cadre « parfaitement » avec sa vision.

Des frictions avec Fitzgibbon ?

Un premier projet sous la nouvelle mouture devrait être annoncé d’ici la fin de l’année, avec des municipalités et des autochtones comme partenaires, m’indique-t-on chez Hydro.

Étonnamment, le ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, n’était pas spécifiquement au courant du plan de sa société d’État, pourtant approuvé par le conseil d’administration. Il en a été informé mardi, nous assure-t-on au cabinet du ministre.

Autre étonnement : Hydro présente sa stratégie une semaine avant le dépôt du projet de loi sur l’énergie que prépare M. Fitzgibbon. Y a-t-il du sable dans l’engrenage ?

Par le passé, le ministre n’a pas caché son désir de voir le privé jouer un certain rôle dans le développement de l’énergie au Québec. Or, le plan d’Hydro fait l’inverse, bien que la société d’État n’exclue pas d’avoir des entreprises privées parmi ses partenaires, ni même de faire encore certains appels d’offres pour le privé.

L’expert en énergie Pierre-Olivier Pineau qualifie la stratégie de « vraie surprise ». « C’est un changement majeur. Et le fait que ce soit annoncé une semaine avant le projet de loi de Fitzgibbon est étrange. C’est un petit affront au gouvernement, parce que tout laisse présager qu’une plus grande place au privé est souhaitée. »

Le professeur de HEC Montréal ne nie pas les avantages énoncés par Hydro, mais craint les effets improductifs du mastodonte monopolistique que représente la société d’État. L’Institut économique de Montréal a d’ailleurs critiqué le nouveau plan d’Hydro, jugeant qu’il coûtera cher aux Québécois.

Chose certaine, Hydro-Québec Production peut développer, dans le cadre de la loi actuelle, ses propres projets éoliens sans être redevable à la Régie de l’énergie. C’est le cas avec l’actuel parc éolien des Neiges, un projet de 1200 MW en cours de réalisation dans la région de Québec en partenariat avec la firme Boralex.

La nouvelle loi risque toutefois de changer la donne. Certes, elle devrait faire disparaître les sous-entités d’Hydro-Québec (Production, Distribution et Transport), mais elle obligera la société d’État à démontrer l’intérêt public de ses décisions, selon mes renseignements.

Tout un dossier à suivre…