L’entente négociée entre Uber Eats et le cabinet d’avocats Lambert en novembre dernier n’a pas tenu devant le tribunal. Elle a plutôt mené à la création d’un comité étudiant permanent qui surveillera dorénavant de telles ententes.

Dans une décision rendue lundi, le juge de la Cour supérieure Pierre-C. Gagnon s’est en effet rangé du côté d’un groupe d’étudiants en droit de l’Université de Montréal qui contestait ce règlement de 200 000 $ pour clore une action collective contre Uber Eats et ses pratiques de surfacturation.

Les cinq étudiants en droit et leur coordonnatrice, Marie-Ève Maillé, dénonçaient entre autres les honoraires de 63 500 $ obtenus par les avocats dans cette entente « qui n’apporte rien aux membres », avait-elle déclaré à La Presse. Le 18 mars dernier, lors de l’audience de la Cour supérieure sur ce règlement, ils ont été rejoints dans leur croisade par deux juristes également clients d’Uber Eats, MPhil Lord et Me Érika Provencher.

Outre les honoraires de 63 500 $, l’entente négociée en novembre dernier avec Uber Eats prévoyait un versement de 81 900 $ au Fonds d’aide aux actions collectives (FAAC), ainsi qu’une somme de 55 000 $ versée en crédits Uber à des organismes de bienfaisance choisis par l’entreprise américaine. Sur ce dernier point, apprend-on dans la plus récente décision judiciaire, Uber s’est finalement engagée à verser des paiements « inconditionnels » de 11 000 $, plutôt que des crédits, à cinq organismes québécois bien connus.

PHOTO KACPER PEMPEL, ARCHIVES REUTERS

Un homme livre une commande Uber Eats à des employés d’une boulangerie.

On a également, pour la première fois, une estimation du nombre de Québécois qui seraient concernés par les pratiques de surfacturation d’Uber Eats, qui lui ont valu deux demandes d’action collective déposées en décembre 2020 et en juillet 2021. L’entreprise a en effet précisé avoir envoyé 1,9 million de courriels en lien avec ces deux affaires.

« Faible montant »

L’avocat qui a piloté ce dossier, MJimmy Ernst Jr Laguë-Lambert, a fait valoir devant le juge que le règlement de 200 000 $ négocié en novembre dernier était « raisonnable », dans la mesure où la jurisprudence n’était pas claire dans ce domaine et « qu’il ne valait pas la peine de verser quelques sous seulement à chaque membre », peut-on lire dans la décision du juge Gagnon.

Ce n’était manifestement pas l’opinion du juge, qui a fait siens cinq arguments soulevés par les opposants à l’entente.

Le juge a notamment relevé le « faible montant pécuniaire » vu le nombre de consommateurs concernés et le « déséquilibre inapproprié » de la répartition des sommes. De façon plus générale, il dénonce des « ententes de règlements qui, somme toute, n’avantagent véritablement que l’avocat du groupe ».

En entrevue avec La Presse, MLaguë-Lambert se défend d’avoir facturé des honoraires exagérés, son cabinet ayant consacré 170 heures à ce dossier. « Comme je l’ai plaidé, ça ne nous donne même pas notre taux horaire. C’est beaucoup plus complexe, un dossier qui n’a pas de précédents […] Ceux qui suivront vont pouvoir s’accoter à notre travail. »

Les deux demandes d’action collective sont donc renvoyées devant la cour, où un juge devra, dans un premier temps, les autoriser. Pour la coordonnatrice du groupe d’étudiants de l’Université de Montréal, Marie-Ève Maillé, « le meilleur argument devant la cour était quand même la médiocrité de l’entente ».

« Ça nous a facilité la tâche. C’est particulier que de mauvaises ententes comme celle-là soient présentées, mais on n’a pas toujours un groupe de gens qui se lèvent en disant qu’ils ont le temps et l’énergie pour les contester. »

Apprendre sur le tas

Ce n’est pas un hasard si la contestation de l’entente regroupe des étudiants en droit : ils en ont fait un exercice appliqué auquel a collaboré dès leur départ leur professeure Catherine Piché, directrice du Laboratoire sur les actions collectives. Marie-Ève Maillé et les autres membres du groupe ont tellement aimé l’expérience qu’ils veulent fonder un comité étudiant à l’Université de Montréal sur les actions collectives, dont la mission sera de répertorier et de contester ce type de règlements. « On voit ça comme une occasion, chaque fois qu’il y a un règlement, de bien l’évaluer, de nous assurer que les membres y trouvent leur compte […] Il y avait quand même une certaine arrogance des parties de soumettre cette entente-là. Peut-être que ça va leur servir d’électrochoc pour les inviter à procéder autrement à l’avenir. »

« On a pris une décision qui nous semblait la meilleure pour les membres, a réitéré MLaguë-Lambert, qui compte continuer à piloter les deux demandes d’action collective. Dans l’état actuel du droit, il n’y a aucun précédent similaire. »