Au fil des différentes hausses de taux d’intérêt, des voix se montraient sceptiques sur la politique de la Banque du Canada visant à mater l’inflation.

Ne va-t-on pas tuer l’économie en voulant maîtriser l’inflation ? Ne sacrifions-nous pas la jeune génération devenue incapable d’acheter une maison ? Pourquoi ne pas exclure les prêts hypothécaires de la hausse des taux ?

Des experts se demandaient même si la cible d’inflation de 2 % ne devrait pas être redressée. D’ailleurs, disait-on, la Banque ne peut contrôler une inflation qui vient notamment des chaînes d’approvisionnement internationales.

La Banque du Canada a maintenu le cap, contre vents et marées. Et force est d’admettre aujourd’hui qu’elle a gagné : sa hausse répétée du taux directeur jusqu’à 5 % a permis de ramener l’inflation à 2,7 %, soit à l’intérieur de sa fourchette de 1 % à 3 %.

La hausse annuelle de l’ensemble des prix est encore trop forte, à 2,7 %, mais à voir les tendances récentes, et sachant que les taux d’intérêt ont un impact décalé de plusieurs mois après avoir été haussés, la Banque juge que le moment est venu d’entreprendre une baisse progressive de son taux directeur.

Le Canada devient ainsi le premier pays du G7 à relâcher les taux, ce n’est pas rien.

« Si l’inflation continue à ralentir et que les données continuent de renforcer notre confiance qu’elle se dirige bien vers la cible de 2 %, il est raisonnable de s’attendre à d’autres baisses du taux directeur », a dit le gouverneur, Tiff Macklem.

D’accord, l’obstination de la Banque a considérablement ralenti l’économie. Mais pour l’instant, le Canada n’est pas tombé en récession, son économie semble plutôt voguer vers un atterrissage en douceur, comme le dit Tiff Macklem.

Surtout, la mission ultime de la Banque du Canada n’a jamais été d’empêcher une récession ni de tenir compte du chômage, mais de chercher à « maintenir l’inflation à un niveau bas, stable et prévisible », qui constitue le meilleur outil à long terme pour « favoriser la prospérité économique et financière du Canada1 ».

La pilule a été dure à avaler. Et elle l’est encore pour bien des Canadiens qui ont perdu leur emploi ou qui ont vu leurs paiements hypothécaires augmenter.

Autre effet de la politique monétaire : elle aura été l’un des facteurs qui ont contribué à la montée du Parti conservateur. Son chef Pierre Poilievre a répété que le premier ministre Justin Trudeau était responsable de l’inflation (la « Justinflation ») et lui a imputé la responsabilité de la hausse des taux d’intérêt.

Cette information maintes fois répétée a eu des effets, même si le premier ministre Trudeau et les politiciens n’ont rien à voir avec la fixation des taux d’intérêt de base, vu l’indépendance de la Banque du Canada.

D’ailleurs, les autres banques centrales dans le monde ont utilisé le même remède au moment de la COVID-19 et après, avec des effets semblables sur l’économie.

Et maintenant ? La plupart des économistes s’attendent à ce que la Banque continue d’abaisser substantiellement son taux directeur.

Le Mouvement Desjardins prévoit une baisse d’encore 75 points de base d’ici la fin de 2024, ce qui ferait passer le taux directeur de 5 % à 4 %. Même prédiction de Sébastien Mc Mahon, stratège en chef de l’Industrielle Alliance, tandis que la Banque Nationale table sur une baisse additionnelle de 50 points de base.

Desjardins s’attend même à une baisse de 250 points d’ici le début de 2026, ce qui ferait passer le taux directeur à 2,25 %. Wow !

Les taux hypothécaires variables et de court terme (un an) devraient suivre la même tendance à la baisse, ce qui soulagera bien des emprunteurs. En revanche, les taux de long terme, par exemple 5 ans, ne devraient pas diminuer d’autant, étant influencés par d’autres facteurs.

Les baisses de taux soulageront certains consommateurs, mais feront moins sourire les touristes canadiens qui vont aux États-Unis. Car en parallèle, le taux directeur de la Réserve fédérale américaine ne devrait pas diminuer dans la même mesure d’ici la fin de 2024, vu la résilience de l’inflation, ce qui aura pour effet de faire pression sur le huard, prévoient la plupart des économistes.

L’écart entre le taux de la Banque du Canada et celui de la Fed pourrait même atteindre 100 points de base à la fin de 2024, estiment Desjardins et l’Industrielle Alliance. L’écart pourrait faire reculer le huard de 3 cents, à 70 cents US, estime M. Mc Mahon, de l’Industrielle Alliance.

La Banque Nationale anticipe aussi une baisse d’environ 3 cents d’ici fin 2024, à quelque 70 cents, mais attribue cette baisse à l’écart de rendement des obligations à deux ans des deux pays, qui s’accroîtra, selon ses économistes (4,5 % aux États-Unis contre 3,5 % au Canada).

Bref, quelques soubresauts économiques en vue, mais si l’économie canadienne n’est pas frappée trop durement par le ralentissement qui se pointe aux États-Unis, ce sera pour le mieux… Ouf !

1. Tout au plus, dans le mandat renouvelé de 2021 de la Banque, il est indiqué que « le gouvernement et la Banque sont d’accord qu’étant donné la nécessité de bien ancrer les attentes d’inflation pour atteindre à la fois la stabilité des prix et le niveau d’emploi durable maximal, l’objectif premier de la politique monétaire est de maintenir l’inflation à un niveau bas et stable au fil du temps ».

Consultez le Renouvellement du cadre de politique monétaire de la Banque du Canada