Pour un jeune qui veut décrocher un diplôme, un coup de pouce financier peut faire toute la différence du monde. C’est pourquoi Ottawa verse aux enfants de familles défavorisées jusqu’à 2000 $ pour leurs études postsecondaires. Mais les plus vulnérables, ceux que la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) retire de leur famille, cessent de recevoir cette précieuse subvention dès qu’ils font leur valise.

Ce scénario plutôt difficile à croire est arrivé aux deux enfants de Tony, placés en famille d’accueil. En regardant ses relevés de compte de la Banque Scotia, le père a réalisé que le Bon d’études canadien (BEC) n’était plus versé dans les REEE (régimes enregistrés d’épargne-études) qu’il a ouverts.

Le BEC est un montant déposé automatiquement dans les REEE d’enfants qui grandissent au sein de familles démunies. Au fil des ans, les BEC peuvent totaliser 2000 $, sans compter tous les intérêts accumulés. Les parents n’ont pas besoin de contribuer eux-mêmes au compte pour que leur progéniture puisse toucher le montant. Le programme, méconnu et sous-utilisé, existe depuis deux décennies.

Même s’il a perdu la garde de ses garçons, Tony continue de transférer religieusement 208 $ par mois dans leur REEE. Il trouve qu’Ottawa devrait aussi continuer à faire sa part. « Ils sont vraiment cochons », lâche-t-il. Le gouvernement justifie cet arrêt par une histoire nébuleuse de NAS qui ne « correspond pas avec celui de l’ARC », ai-je lu sur le relevé.

Emploi et Développement social Canada m’a confirmé que ce n’est pas une erreur.

Dès qu’un enfant entre dans le système de protection de l’enfance, « les versements du BEC au REEE ouvert par le(s) parent(s) seront interrompus », m’a écrit une porte-parole sans expliquer la logique derrière cette décision.

La solution, selon le fédéral : que la DPJ ouvre un second REEE à l’enfant. Le BEC y sera alors versé. La DPJ peut même demander le versement rétroactif des sommes manquantes, fait-on valoir. Et, lorsqu’un enfant placé en famille d’accueil ou en centre jeunesse n’a jamais eu de REEE de sa vie, la DPJ peut lui en ouvrir un premier.

Ottawa dit avoir transmis une note aux provinces pour « les aider à comprendre les étapes à suivre pour ouvrir des REEE pour les enfants pris en charge ». Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec m’a écrit qu’il avait envoyé « un rappel à ce sujet » aux DPJ de la province, en 2021.

On a donc tout prévu, en théorie. Mais dans la pratique, c’est autre chose.

Ces messages n’ont rien donné.

Les DPJ que j’ai contactées, notamment les plus grosses du Québec, m’ont dit que leurs intervenants ne vont pas à la banque ouvrir des REEE. Il y a peut-être des exceptions, mais si c’est le cas, Québec n’est pas au courant. Une source proche de la DPJ se demande même si cela ne contreviendrait pas aux règles de confidentialité entourant les enfants retirés de leur milieu.

Débordé, le personnel de la DPJ a beaucoup d’autres priorités, bien évidemment. Il s’attaque d’abord aux urgences et doit surtout prendre en charge rapidement les enfants négligés ou violentés. C’est tout à fait logique et compréhensible.

Mais il est quand même choquant que l’on n’ait rien fait, depuis tant d’années, pour s’assurer que ces enfants hautement vulnérables ne soient pas privés d’une subvention fédérale créée spécialement pour eux, pour leur avenir. Ces jeunes, pour la plupart, n’auront pas la chance de se faire payer leurs frais de scolarité par papa et maman. Un REEE contenant 2500 $ ou 4000 $ aurait le potentiel de faire une grande différence dans leur cheminement.

Comme le rapportait récemment ma collègue Katia Gagnon, le tiers des jeunes qui ont vécu un placement sous la tutelle de la DPJ se retrouvent, à l’âge de 21 ans, dans une sorte de cul-de-sac professionnel1. Ils ne sont ni aux études, ni en formation, ni au travail. C’est trois fois plus que dans la population générale au même âge.

Pour avoir une idée de l’ampleur du phénomène, j’ai demandé au ministère de la Santé combien d’enfants au Québec étaient actuellement placés hors de leur milieu familial, et combien l’ont été, depuis 20 ans. Ces données sont inconnues.

Chose certaine, ce n’est pas aussi rare que l’on pourrait le croire.

L’automne dernier, Katia nous apprenait qu’un enfant sur vingt, dans la province, sera placé au cours de sa vie2. La statistique inclut autant les placements d’une journée que ceux qui durent 5 ans ou 12 ans. Mais le taux de placement global pourrait, dans les faits, être plus élevé, car la statistique ne tient compte que des placements survenus après un premier signalement. Ceux survenus après plusieurs signalements ne sont pas comptabilisés.

La bonne nouvelle, c’est qu’Ottawa a l’intention d’ouvrir systématiquement des REEE aux enfants défavorisés à compter de 2028⁠3. Car son programme de BEC passe à côté de la cible. Pas moins de 70 % des jeunes admissibles n’en bénéficient pas, soit 130 000 chaque année.

Comme il le fait depuis 20 ans pour verser les BEC aux enfants, le fédéral se basera sur les revenus déclarés au fisc par les parents pour établir la liste des mineurs admissibles à ce nouvel automatisme.

Il serait inacceptable que ce processus prometteur écarte les enfants de la DPJ.

1. Lisez l’article « Le tiers dans un cul-de-sac professionnel, selon une nouvelle étude » 2. Lisez l’article « Une étude sans précédent » 3. Lisez la chronique « Jusqu’à 2000 $ versés automatiquement aux enfants »

IQEE et SCEE

Revenu Québec m’a confirmé qu’il continue de verser l’incitatif québécois à l’épargne-études (IQEE) aux enfants admissibles, qu’ils soient ou non placés par la DPJ hors de leur famille. L’IQEE équivaut à 10 % des cotisations nettes versées par les parents dans l’année. Ottawa ne m’a pas précisé si sa Subvention canadienne pour l’épargne-études (SCEE) de 20 % à 40 % selon le revenu familial continuait d’être versée.