Un nouveau phénomène vient de prendre racine dans la réalité économique québécoise, alors que depuis 2021, il se réalise plus de transferts et de rachats d’entreprises existantes qu’il ne s’en crée de nouvelles. Une dynamique qui est appelée à prendre de l’ampleur au cours des prochaines années et qui ira en s’accélérant.

On le savait et on nous l’a souvent rappelé, l’arrivée massive à l’âge de la retraite de la cohorte de baby-boomers qui ont lancé leur entreprise durant les dernières décennies allait créer un goulot d’étranglement lorsque ceux-ci décideraient de céder la propriété de leur entreprise.

Or, ce mouvement de vente s’est bien amorcé et il commence à prendre de plus en plus de vélocité, comme en témoigne une étude que vient de rendre publique l’Observatoire du repreneuriat et du transfert d’entreprise du Québec (ORTEQ).

Selon une base de données contenant plus de 180 000 entreprises observées chaque année entre 2015 et 2021, l’étude de l’ORTEQ dénombre qu’il s’est réalisé près de 7400 transferts d’entreprises annuellement, pour un total de 52 000 transactions durant cette période.

On parle ici autant d’entreprises qui sont vendues ou cédées aux membres d’une même famille, d’entreprises qui font l’objet d’un rachat par leurs dirigeants ou leurs employés, d’une vente à un repreneur stratégique extérieur ou à un groupe d’investisseurs (firmes d’investissements privés, bureaux de famille…).

Bref, les cas types sont multiples et ils ont atteint un sommet en 2021 lorsqu’on a dénombré 8600 transferts d’entreprise, ce qui marque une hausse de 31 % par rapport à 2015. C’est aussi en 2021 que le nombre de transferts d’entreprise au Québec a surpassé celui de la création de nouvelles entreprises.

Ces chiffres m’ont un peu surpris, puisqu’en 2021, le Centre de transfert d’entreprise du Québec s’attendait à ce que le nombre de transferts d’entreprises franchisse le cap des 15 000 pour cette même année, soit près du double de ce qui a été officiellement enregistré.

« En 2021, on faisait état des intentions de transferts que souhaitaient réaliser les propriétaires-dirigeants, on le faisait à partir de sondages.

« On était en sortie de COVID, plusieurs avaient retardé leur projet de vendre leur entreprise et plusieurs souhaitaient le faire. Les nouvelles données de l’ORTEQ font état d’un suivi qui est fait auprès de 180 000 entreprises depuis six ans maintenant », me précise Alexandre Ollive, PDG du Centre de transfert d’entreprise du Québec.

Des transactions en progression

L’ORTEQ a été créé par le Centre de transfert d’entreprise du Québec, sous la direction du professeur Marc Duhamel, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, et il est appuyé par le Mouvement Desjardins, notamment.

Le Mouvement Desjardins confirme lui aussi à partir de son expérience sur le terrain que le nombre de transferts d’entreprises va aller en augmentant et en accélérant.

« On fait de 1500 à 2000 transactions de financement de repreneuriat en moyenne. Cette année, on prévoit en faire plus de 2000 et entre 3000 et 4000 au cours des années subséquentes », observe Jean-Yves Bourgeois, Premier vice-président, Services aux entreprises, du Mouvement Desjardins.

Selon Jean-Yves Bourgeois, plusieurs transactions n’ont pas été réalisées au cours des dernières années parce qu’il y avait plus d’entreprises qui étaient prêtes à être vendues qu’il n’y avait d’entreprises capables de les absorber.

Chose certaine, ce ne sont pas les capitaux pour financer les rachats d’entreprises qui manquent, avec tous les acteurs qui sont prêts à intervenir dans le marché : la Caisse de dépôt, les Fonds de solidarité, Fondaction, la BDC, les banques, les fonds d’investissement privés, les bureaux familiaux…

À titre d’exemple, le portefeuille du Mouvement Desjardins voué au soutien du transfert d’entreprise est de près de 10 milliards en dette et équité dans une proportion de 90 %-10 %.

« On recrute et on met en place de nouvelles équipes pour répondre à la demande, mais c’est chez les professionnels comme les avocats et les fiscalistes où on sent que c’est plus difficile », constate Jean-Yves Bourgeois.

Et s’il est bien beau de vouloir passer le flambeau, ça prend quelqu’un pour le reprendre quelque part.

Parfois, les acquéreurs stratégiques reculent devant le prix demandé trop élevé. Il arrive aussi que les financiers ne veuillent pas participer à un rachat par le management si le prix est trop élevé ou ne tient pas compte des investissements qu’il faudra consentir pour mettre l’entreprise à niveau.

N’empêche, l’activité économique entourant ces transferts de propriétés n’est pas négligeable, puisque de 2015 à 2021, ils ont impliqué jusqu’à 26 milliards d’actifs chaque année et touché jusqu’à 120 000 employés annuellement.

Ce qui est aussi notable, c’est que les entreprises ayant subi un transfert de propriété figurent parmi les plus performantes au Québec, en affichant des revenus moyens de 4,8 millions, soit 9,2 fois plus que les revenus générés par les entreprises nouvellement créées.

Si la croissance des transferts d’entreprises est observée dans tous les secteurs industriels au Québec, ce sont les industries du transport et de l’entreposage qui dominent, suivies de l’industrie de la construction et du secteur manufacturier.

L’ORTEQ prévoit faire une mise à jour de son étude annuelle l’automne prochain et nous dévoilera alors le nombre de transferts de propriétés qui ont lieu durant l’année 2022, des résultats qui confirmeront sans surprise le mouvement qui est bien lancé.