Moi qui croyais que les Québécois étaient restés créatifs, innovants, inventifs. À la manière des Joseph-Armand Bombardier ou Guy Laliberté, du Cirque du Soleil.

Ce n’est malheureusement pas ce qu’est venu dire le directeur général du Conseil de l’innovation du Québec, Luc Sirois, lors de sa présentation au Congrès de l’Association des économistes québécois (ASDEQ).

Une enquête du Conseil constate que l’innovation bat de l’aile. La proportion des entreprises qui ont réalisé des projets d’innovation depuis 12 mois dans la région de Montréal est nettement inférieure à celles de Toronto et de Vancouver.

Et selon l’étude, les dépenses globales de recherche et développement (R et D) du Québec sont en déclin presque constant depuis 20 ans. Elles représentaient 1,7 % du PIB en 2001, contre seulement 1,3 % aujourd’hui.

L’Ontario et la Colombie-Britannique ont aussi reculé, mais ces deux provinces ont nettement inversé leur tendance à la baisse depuis 2015, ce que n’a pas fait le Québec.

Depuis 20 ans, la R et D a fondu de 25 % au Québec (en proportion du PIB), contre 3 % dans l’ensemble du Canada. Pendant ce temps, les États-Unis ont connu un bond de 37 % et l’Allemagne, de 24 %. La hausse moyenne des pays industrialisés est de 32 %.

« C’est une crise insoupçonnée. Il y a un coup de barre à donner », a dit Luc Sirois, qui porte aussi le titre d’innovateur en chef du Québec.

Ce dégonflement québécois et canadien n’est pas sans incidences. Car l’innovation est l’un des piliers de la productivité, dont dépend notre niveau de vie.

Les carences canadiennes en productivité sont d’ailleurs sur toutes les lèvres depuis quelque temps. Jeudi par exemple, en marge de son assemblée annuelle, le président de Power Corporation, Paul Desmarais fils, parlait d’une urgence économique, et exhortait les gouvernements, les entreprises et les travailleurs à renverser la situation1.

Concrètement, les entreprises qui innovent en profitent, selon l’étude. Non seulement l’innovation réduit les coûts et augmente les exportations et les revenus, mais elle sert aussi d’attraction pour la main-d’œuvre.

Pourquoi ce recul de l’innovation ? Les raisons sont diverses. Le déclin du secteur manufacturier canadien y est pour quelque chose, la R et D y étant bien présente.

Luc Sirois parle aussi des changements de notre économie, de l’importance d’avoir des entreprises fortes à propriété locale. « Les centres de distribution des grandes entreprises étrangères ne font pas de R et D », dit-il.

On pourrait aussi parler de la modification des règles dans le secteur pharmaceutique, en plus du vieillissement des entrepreneurs, qui ne jugent pas toujours nécessaire d’innover avant la retraite.

« Dans les entreprises en repreneuriat, l’innovation explose », dit M. Sirois, donnant l’exemple des Biscuits Leclerc.

Pour redresser la situation, l’innovateur en chef parle d’aide fiscale mieux ciblée, par exemple vers des secteurs stratégiques ou des entreprises à fort potentiel.

La simplicité du processus de financement serait aussi fort appréciée des innovateurs. L’étude propose également de mettre davantage l’accent sur la recherche appliquée plutôt que fondamentale et d’avoir une meilleure collaboration universités-entreprises. S’ajoute notamment à cela le rehaussement des compétences des dirigeants.

Bond du bien-être des Québécois

Les nouvelles n’étaient pas que mauvaises à ce congrès. Une économiste de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), Sarah-Roy Milliard, est venue expliquer que le Québec a connu des progrès notables en matière sociale.

Depuis 15 ans, le Québec a connu une hausse du taux d’emploi et du revenu médian, jumelée à une baisse de la proportion des faibles revenus et du niveau de crimes graves.

Le Québec compte aussi davantage de diplômés du secondaire chez les 25-34  ans (80,5 %), davantage de femmes en politique (35,4 %), et l’écart de diplomation a été réduit entre les élèves favorisés et défavorisés. À cela s’ajoute une hausse de l’espérance de vie, à 82,5 ans.

Certains éléments viennent assombrir le portrait. La proportion de la population de 12 ans et plus se déclarant en bonne santé mentale a reculé, étant passée de 75 % en 2015 à 66 % en 2021. Consolation : cette proportion a chuté à 57 % dans le reste du Canada.

Autres points moins reluisants : les indicateurs économiques du Québec, quoiqu’en progression, sont généralement moins bons que dans le reste du Canada (valeur des infrastructures, capital financier, etc.).

LE défi : l’environnement

Par ailleurs, le Québec fait face à des défis qui iront en s’accroissant au cours des prochaines années. D’abord, il y a le vieillissement, qui exercera une pression très importante sur le système de santé, notamment sur les soins à domicile, est venu expliquer l’économiste Pierre-Carl Michaud2.

Mais c’est l’environnement qui constitue, de loin, le défi le plus préoccupant, puisque les transformations affecteront toutes les autres dimensions, sociales ou économiques.

Le portrait du chercheur de l’Université du Québec en Outaouais Jérôme Dupras est venu le rappeler aux 200 congressistes.

Le professeur d’économie écologique a d’abord expliqué qu’au rythme actuel, le Québec aura réduit ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 19 % en 2050, alors que les principaux pays ont convenu d’être alors carboneutres, soit une réduction de 100 %3. Il faudra des changements personnels, sociaux et économiques majeurs pour y arriver.

Ce réchauffement accéléré, entre autres, aura une profonde incidence sur la biodiversité. Selon les projections, 49 % des aires protégées seront sujettes à des modifications de 80 % de leurs espèces au cours des prochaines années, a expliqué M. Dupras, aussi bassiste des Cowboys Fringants4.

Ces bouleversements de la biodiversité auront des impacts sur la pollinisation, les stocks de poisson, la productivité agricole et forestière, entre autres.

Le chercheur a aussi démontré, cartes interactives à l’appui, que les subventions agricoles actuelles pour l’environnement sont sans effet, car beaucoup trop petites. De plus, leur coût bureaucratique est si lourd pour les agriculteurs qu’elles sont inintéressantes.

« Il faut avoir le courage de changer de paradigme », conclut Jérôme Dupras.

1. Lisez l’article « Le clan Desmarais lance un message fort au sujet du déclin de notre productivité » 2. Consultez la chronique « Soins aux aînés : quatre fois plus de services pour la même facture »

3. Le Plan pour une économie verte du gouvernement du Québec ferait réduire les émissions de GES de 40 % d’ici 2050, selon la présentation.

4. Au récent sommet mondial de Montréal, il a été question de protéger 30 % de notre territoire (terre, eaux et océans). Or, les aires protégées avoisinent les 18 % actuellement au Québec, et encore, il s’agit de la partie qui a été facile à protéger, soit dans le Nord, grâce aux Cris et aux Inuits, fait remarquer Jérôme Dupras.