On l’appelle la crise du logement, mais ce n’est sans doute pas le nom idéal. Dans le langage courant, au Québec, un logement est un « loyer », un appartement loué. On l’utilise rarement dans un sens large qui inclut autant le HLM que le manoir avec trois portes de garage. D’ailleurs, on n’entendra jamais le propriétaire d’une maison en banlieue annoncer à ses voisins qu’il va refaire la cuisine ou le toit de son logement.

Lorsqu’il est question de la crise du logement, on a donc tendance à penser au manque d’appartements locatifs, aux prix qui ont explosé, aux « rénovictions », aux familles démunies qui s’entassent dans des demi-sous-sols insalubres, faute d’avoir trouvé mieux. Tout cela est aussi inquiétant que triste, bien sûr. Mais ce n’est qu’une partie du problème.

L’inabordabilité des propriétés contribue aussi à cette crise.

Aujourd’hui, c’est bien simple : un revenu dans la médiane ne permet plus de devenir propriétaire dans une majorité de villes au pays. Pas même d’un condo ordinaire.

La crise de l’habitation touche désormais les travailleurs ayant un revenu dans la moyenne et elle n’est plus concentrée dans les grands centres urbains.

« Il ne s’agit plus d’une histoire de prix élevés à Vancouver et à Toronto. Dans deux marchés urbains sur trois que nous suivons, le coût de propriété dépasse désormais 35 % du revenu médian des ménages, ce qui est excessif », écrit Robert Hogue, de la Banque Royale (RBC), dans une nouvelle étude sur le marché de l’habitation.

L’expert ajoute : ce phénomène qui crée « d’intenses tensions entre les générations » atteindra un niveau « encore plus alarmant si rien n’est fait maintenant ».

À cause de la flambée des prix et des taux d’intérêt, seulement 45 % des ménages canadiens gagnent assez d’argent pour s’acheter un condo et 26 % peuvent espérer devenir propriétaires d’une maison unifamiliale. C’est beaucoup moins qu’il y a 20 ans, comme on le voit sur le graphique. En fait, c’est beaucoup moins qu’à n’importe quelle époque, quoi qu’en pensent ceux qui ont acheté au début des années 1980.

Les jeunes travailleurs qui ne voient pas le jour où ils pourront accéder à la propriété n’exagèrent donc pas leur malheur. Ils savent compter.

Un million de nouveaux couples d’amoureux qui se formeront d’ici la fin de la décennie seront incapables de devenir propriétaires, calcule Robert Hogue. Même s’ils rêvent de plus grand pour fonder une famille et d’une piscine hors terre, leurs revenus ne suffiront tout simplement pas.

Hélas, plus de 40 % d’entre eux n’auront même pas un revenu suffisant pour payer un logement aux prix actuels du marché. Comme tout ce beau monde devra forcément se loger, voyez-vous poindre les problèmes à l’horizon ? La pression sur le gouvernement et les villes pour trouver des solutions n’ira qu’en s’accentuant.

Les parents de ces tourtereaux à la recherche d’un nid douillet risquent aussi d’être mis à contribution. Gageons que les demandes et les offres d’héritage versé avant le décès bondiront.

Mais tous les jeunes couples n’arriveront pas à accumuler une somme suffisante pour une mise de fonds. La demande pour les logements locatifs continuera donc de croître, au point où il ne faudrait construire que cela, ou presque.

Les plus chanceux et les mieux payés se tourneront surtout vers les condos. La RBC prévoit que les acheteurs potentiels de copropriétés seront, d’ici 2030, deux fois plus nombreux que les acheteurs de maisons individuelles. Le secteur de la construction devra s’ajuster à cette demande, tout comme les villes qui devront favoriser les projets qui améliorent la densité sur leur territoire.

Au fil des ans, le taux de propriété du Canada (66 % en 2021) est susceptible de dégringoler. La baisse des taux d’intérêt attendue pour le milieu de l’année n’aura pas beaucoup d’effet sur l’accessibilité, car il manque de propriétés.

Il y a bien pire, dans la vie, que d’être incapable de s’acheter une maison. C’est vrai. On peut vivre à Gaza, en Haïti, en Ukraine, on peut frôler la mort chaque jour, avoir faim. Mais dans un pays prospère comme le Canada, la crise du logement est problématique, et pas seulement pour les ménages à faibles revenus. Pour l’économie tout entière.

Comme le rappelle la RBC, la crise a un impact sur la capacité du Canada à « attirer les talents et les investissements », et elle se répercute sur les politiques gouvernementales en matière d’immigration comme les plafonds imposés aux étudiants étrangers et aux travailleurs étrangers temporaires.

La solution à ce déséquilibre d’une ampleur inédite entre l’offre et la demande n’est pas simple, encore moins unique. Mais on peut agir, et Robert Hogue énumère sept façons de le faire :

  • Accroître le nombre de travailleurs dans le secteur de la construction
  • Construire les propriétés de manière différente et plus efficace (maisons préfabriquées, catalogue de plans préapprouvés)
  • Approuver les projets plus rapidement (moins de paperasse, d’exigences)
  • Permettre une plus forte densification des espaces et plus de diversité de logis
  • Réduire le prix de la construction en choisissant mieux les matériaux
  • Construire davantage de condos et moins de maisons
  • Convertir les immeubles de bureaux ou commerciaux en logements résidentiels

À méditer en regardant les maisons à vendre sur Centris.