Certaines femmes sont peut-être capables de plier du linge d’une main et d’aller sur le web pour acheter un certificat de placement garanti (CPG) de l’autre. Mais règle générale, la charge de travail et la charge mentale des mères pèsent si lourd qu’elles manquent de temps pour épargner et investir, ce qui nuit à leur santé financière.

Tel est le constat à la fois logique mais décourageant d’une nouvelle étude costaude de 149 pages réalisée par la Chambre de la sécurité financière (CSF) en collaboration avec l’Institut national de recherche scientifique (INRS), ÉducÉpargne et Léger.

Logique, parce qu’il faut du temps pour développer sa littératie financière, pour prendre rendez-vous avec un professionnel des finances, pour planifier son épargne et ses investissements et pour faire des choix éclairés en vue de sa retraite ou d’autres projets comme l’achat d’une propriété.

Malheureusement, le temps est une ressource limitée. Et les mères en couple dont les enfants sont d’âge scolaire ont moins de temps libre que les hommes.

Elles consacrent chaque semaine 8,4 heures de plus au travail rémunéré ou non, selon les plus récentes données de Statistique Canada. Cet écart de 1,2 heure par jour n’est pas sans conséquences financières.

D’ailleurs, le fait de savoir comment les femmes et les hommes répartissent leur temps entre diverses activités au cours d’une journée typique est « essentiel pour comprendre l’inégalité entre les sexes au sein de la société », avertit Statistique Canada avec sagesse.

L’étude de la CSF confirme que l’équité en matière de tâches domestiques et éducatives n’est pas encore atteinte au sein des couples. Plus de trois répondantes sur cinq (61 %) disent y consacrer plus de temps que leur conjoint. Cela laisse moins de temps et d’« espace mental » pour d’autres activités comme la gestion de son argent.

Dans son quotidien, Annick Kwetcheu Gamo constate un autre impact du manque de temps des mères sur leurs finances. Le plus évident : elles ont « tendance à déléguer » à leur conjoint les décisions relatives à l’argent.

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Annick Kwetcheu Gamo, spécialiste en éducation financière

« Quand il s’agit de planifier le patrimoine, on s’en désintéresse au lieu de prioriser », résume cette spécialiste des finances personnelles qui a fondé Code F. Santé financière pour tous !, une entreprise qui offre du coaching financier.

En d’autres mots, « les femmes gèrent le budget et les hommes gèrent les investissements ». C’est stéréotypé, c’est genré, mais c’est ainsi.

Pour la professeure à l’INRS et titulaire de la Chaire argent, inégalités et société, Hélène Belleau, les raisons sont « mécaniques ». Lorsqu’on a moins d’argent, il est normal de ne pas avoir beaucoup d’intérêt envers l’investissement et de se fier à son conjoint qui a développé une certaine expertise en la matière.

Le temps n’explique pas tout. Les femmes rencontrent davantage d’obstacles à l’épargne : salaire moindre, congés parentaux, travail à temps partiel pour le bien de la famille, mauvaise organisation des finances dans le couple.

Ainsi, même à salaire égal avec leur conjointe, les pères sont plus nombreux à avoir la marge de manœuvre nécessaire pour épargner.

PHOTO KINGA ENE, FOURNIE PAR SIMON HOULE

Simon Houle, planificateur financier

« Un phénomène que je vois souvent, c’est que les dépenses sont réparties 50-50, même si l’un des conjoints gagne beaucoup plus que l’autre », relate Simon Houle, gestionnaire de portefeuille au Groupe Onyx, iA Gestion privée de patrimoine. C’est le scénario idéal pour appauvrir le plus pauvre des deux. Pas moins de 60 % des femmes disent que leur conjoint gagne plus.

Résultat, plus de la moitié des pères de 25 à 54 ans déclarent avoir plus d’épargne que leur conjointe, un chiffre corroboré par les femmes. Dans certaines tranches d’âge, la proportion atteint un effarant 66 %.

Dans ces circonstances, il ne faut pas s’étonner que 69 % des femmes redoutent de manquer de revenus à la retraite, un pourcentage nettement plus élevé que celui des hommes (56 %).

PHOTO PHIL BEENARD, FOURNIE PAR L’INRS

Hélène Belleau, professeure à l’INRS

Hélène Belleau déplore aussi les règles fiscales « mésadaptées » qui nuisent financièrement aux femmes. Des exemples : les congés de maternité font perdre des droits de cotisation REER, les crédits d’impôt qui s’appuient sur le revenu familial, « comme si l’argent était fusionné et réparti équitablement » dans le couple. L’État considère aussi que le nouveau conjoint d’une mère solo contribuera aux dépenses de ses enfants, ce qui lui fait perdre une partie de ses allocations familiales.

La proverbiale tolérance aux risques – qui n’est pas imaginaire, loin de là – s’ajoute à l’équation.

En gros, les mères vont préférer les CPG, tandis que bien des pères ne craindront pas de miser sur les cryptomonnaies, illustre Annick Kwetcheu Gamo. « Je généralise, mais les femmes misent sur la conservation du patrimoine, tandis que les hommes cherchent les titres qui font une différence pour battre l’indice », renchérit Simon Houle. Les femmes se retrouvent avec des investissements moins risqués dont le potentiel de croissance est moindre, ce qui peut nuire tout au long de la retraite.

Si les femmes sont plus inquiètes de perdre de l’argent, c’est peut-être parce qu’elles en ont moins. « Il faut comprendre pourquoi elles sont frileuses. Un homme dans la même situation qu’une femme réagirait-il de la même façon ? », demande Hélène Belleau. Excellente question.

Les clichés sexistes sont tenaces. Et peut-être en avez-vous marre, comme moi, de lire sur le sujet. Hélas, tant que les règles fiscales, le marché du travail et l’éducation financière n’auront pas permis aux femmes d’atteindre l’équité avec les hommes en matière d’argent, le sujet demeurera assez préoccupant pour être d’actualité.