On ne met généralement pas les pieds dans une banque dans un état de grande méfiance envers les employés. Mais une enquête inquiétante de l’émission Marketplace, de la CBC, incite à la plus grande vigilance. Grâce à des caméras cachées, on y voit des conseillers financiers transmettre de fausses informations et proposer des produits contraires aux intérêts des clients pour atteindre leurs objectifs de vente.

Pour découvrir comment ça se passe dans les bureaux des conseillers des cinq plus grandes banques du pays – RBC, BMO, TD, Scotia et CIBC –, des clients mystères ont visité des succursales de toutes ces enseignes à Toronto et à Vancouver. Certains propos font décrocher la mâchoire.

Au sujet des fonds communs, au moins deux conseillers financiers affirment que les frais de gestion ne sont facturés que sur les rendements, tandis qu’un autre promet au moins 10 % de profit par année. Quand une cliente demande quoi faire d’un héritage de 50 000 $, personne ne lui suggère de rembourser en premier en totalité le solde élevé sur sa carte de crédit à 19,99 % d’intérêt. Il serait plus judicieux d’investir la somme, lui fait-on comprendre.

Des employés actuels et passés des grandes banques confient aussi à la journaliste à quel point la pression est forte pour vendre des cartes de crédit et ouvrir des marges de crédit, même à des clients qui n’ont rien demandé. Le but : atteindre les quotas imposés par les patrons et faire croître les profits.

Évidemment, accorder du crédit n’est pas un geste anodin. C’est plutôt dangereux. Combien de personnes se retrouvent ainsi plongées dans la spirale de l’endettement ?

Certains conseils entendus dans le reportage sont carrément illégaux, s’indigne Duff Conacher, cofondateur de l’organisme Democracy Watch qui milite pour une responsabilité accrue des entreprises et du gouvernement. De fait, la Loi sur les banques indique qu’il est interdit de « profiter d’une personne » et affirme que les institutions financières doivent se doter d’une politique « pour veiller à ce que les produits […] conviennent à la personne physique à laquelle ils sont offerts ».

  • « L’intérêt moyen que vous ferez sera d’au moins 10 % », promet un conseiller financier.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU REPORTAGE DE MARKETPLACE (CBC)

    « L’intérêt moyen que vous ferez sera d’au moins 10 % », promet un conseiller financier.

  • « Vous êtes préqualifiée pour obtenir une marge de crédit personnelle préapprouvée », affirme un employé à une cliente venu faire un dépôt.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU REPORTAGE DE MARKETPLACE (CBC)

    « Vous êtes préqualifiée pour obtenir une marge de crédit personnelle préapprouvée », affirme un employé à une cliente venu faire un dépôt.

  • « Vous avez droit à une augmentation de votre limite de crédit de 8000 $ », apprend une conseillère à un client mystère.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU REPORTAGE DE MARKETPLACE (CBC)

    « Vous avez droit à une augmentation de votre limite de crédit de 8000 $ », apprend une conseillère à un client mystère.

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Si certains clients n’y voient que du feu, d’autres déplorent la qualité des services reçus en succursale et le taux de roulement de personnel.

Un retraité dégourdi que j’appellerai Léon pour le bien de son couple a été abasourdi par le manque de proactivité chez Desjardins pour améliorer le sort de sa femme. En février, il s’est présenté avec elle à la caisse populaire où il est client depuis toujours parce qu’il disposait d’environ 25 000 $ à déposer dans le REER de sa douce moitié. C’est ainsi qu’il a compris que les fonds communs de sa femme, totalisant plus de 150 000 $, n’avaient rapporté que 2 % en moyenne depuis cinq ans et que les frais de gestion s’élevaient à 2,23 %. Bien sûr, il est impossible de juger les rendements obtenus sans connaître le profil de l’investisseur, son horizon de placement, sa tolérance aux risques. Alouette.

En réalité, les chiffres ne sont pas tellement importants, ici. Ce que Léon dénonce surtout, c’est qu’il a découvert les rendements et les frais parce qu’il a posé des questions. Sinon, il n’aurait rien su, assure-t-il.

J’ai aussi demandé s’il y avait autre chose de mieux qu’on pouvait faire. C’est moi qui leur ai parlé de leur propre CPG à 5 % pour 17 mois.

Léon, client de Desjardins

Une bonne partie du REER a finalement été utilisée pour acheter ce CPG.

On ne peut pas mettre tous les employés du secteur financier dans le même panier. Mais le témoignage de Léon est une autre illustration des lacunes choquantes et préoccupantes qui se succèdent dans le reportage de Marketplace.

Visionnez le reportage de la CBC (en anglais)

La véracité des commentaires laissés sur YouTube ne peut être vérifiée, mais des personnes se présentant comme d’ex-employés des banques confirment les conclusions de l’enquête. L’une d’elles raconte qu’on lui a reproché d’avoir travaillé contre l’intérêt de la banque parce qu’elle avait suggéré à un client qui peinait à payer le solde minimum sur sa carte de crédit d’ouvrir une marge de crédit assortie d’un taux inférieur.

« Vous n’aurez jamais de promotion si vous ne vendez pas assez », résument certains employés du secteur.

L’Association des banquiers canadiens (ABC) a réagi au reportage en affirmant que « les exemples décrits ne reflètent pas l’expérience que des millions de Canadiens ont chaque jour avec les employés des banques du Canada ». Mais que fait-elle – concrètement et de manière assidue – pour en être aussi certaine ? Mystère.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La ministre des Finances Chrystia Freeland

La ministre des Finances Chrystia Freeland n’a pas été plus rassurante. En plus de refuser de parler à la CBC, elle a fui et ignoré sa journaliste Erica Johnson lors d’un évènement. Dans une déclaration écrite, son cabinet a rappelé qu’il avait amélioré la protection pour les consommateurs dans la Loi sur les banques. C’était en 2022… De toute évidence, ce n’est pas d’une efficacité à toute épreuve.

Surtout, on n’a pas su comment Ottawa s’assure que ses nouvelles mesures soient respectées. On peut bien écrire les lois les plus contraignantes du monde, rien de changera si elles sont violées sans conséquence.

Il y a sept ans, Erica Johnson avait fait exactement la même enquête. Elle se désole que rien n’ait changé depuis. Mais peut-être est-il naïf de croire que des entreprises à but lucratif puissent faire passer les intérêts de leurs clients avant les leurs. Dans ce cas, faudrait-il que les conseillers financiers des banques utilisent plutôt le titre de « vendeurs » et se présentent ainsi clairement ?