L’évènement avait marqué les esprits, en 2019. Pour la première fois de l’histoire moderne, le Québec devenait moins endetté que l’Ontario, signe de notre rattrapage face à notre concurrent de toujours(1).

Or voilà, les finances bancales du Québec, jumelées à un assainissement de la situation en Ontario, ramènent le Québec derrière notre voisin cette année. Ce retour en arrière ne devrait pas plaire à François Legault, dont l’objectif est de rattraper la richesse ontarienne, pas l’inverse.

Dans le budget présenté mardi, donc, il est indiqué que la dette du Québec atteindra 39 % de notre produit intérieur brut (PIB) au 31 mars 2024, soit un point au-dessus de l’Ontario (38 %). À pareille date l’an dernier, le Québec était à égalité avec l’Ontario, à 38,3 %, et précédemment, nous étions sous l’Ontario(2).

Bref, 2024 restera dans l’histoire comme l’année où le Québec est redevenu plus endetté que son voisin. Et selon les prévisions, ça ne changera pas de sitôt, puisque la dette du Québec (en pourcentage du PIB) continuera d’augmenter avant de redescendre, alors que celle de l’Ontario reculera davantage au cours des prochaines années(3).

En valeur absolue, la dette nette du Québec atteindra 226 milliards au 31 mars 2024, en hausse de 15 milliards par rapport à l’année précédente. Cette hausse s’explique par le déficit et les investissements nets dans les infrastructures, notamment.

La santé financière d’une province a des effets bien concrets. Elle lui permet de se financer à meilleurs taux auprès des prêteurs.

Cette année, le Québec est encore parvenu à obtenir un taux très légèrement plus bas que celui de l’Ontario (1 point de base, ou 0,01 %), mais cet écart était de 5 points de base en 2022 et il a toujours été favorable au Québec depuis l’été 2017. Au rythme où vont les choses, une inversion favorisant l’Ontario est à prévoir.

Il faut dire que la province de Doug Ford a séduit les agences de notation de crédit depuis deux ans.

Certes, l’Ontario a encore une cote de crédit légèrement moins favorable que celle du Québec chez Moody’s et Standard & Poor’s. Cette cote de la dette à long terme chez Standard & Poor’s est de A+ pour l’Ontario et de AA- pour le Québec(4).

Mais les choses changent, tranquillement. Et avec son redressement financier, l’Ontario est parvenu à se faire accoler une perspective positive à sa cote de crédit chez les deux agences, et la prochaine étape la ferait augmenter à AA-, comme le Québec.

Le Québec vit une situation inverse, en quelque sorte. Mercredi, les agences Moody’s et DBRS Morningstar n’ont pas aimé le déficit du Québec dévoilé mardi pour l’année 2024-2025, de 11 milliards, comme le rapportait mon collègue Martin Vallières(5).

Sans accoler une perspective négative à la cote du Québec, les analystes de Moody’s écrivent que « la baisse des résultats budgétaires est un constat négatif de crédit ».

Le Fonds des générations à la rescousse

Le niveau élevé des emprunts du Québec n’est pas sans conséquence. Le budget nous apprend que le gouvernement doit puiser 9,4 milliards de dollars sur trois ans dans le Fonds des générations pour réduire ses programmes d’emprunts.

Le recours au Fonds sera particulièrement élevé au cours de la prochaine année (4,4 milliards en 2024-2025). La ponction sera de 2,5 milliards l’an prochain (2025-2026), autant qu’en 2023-2024. C’est comme si Québec pigeait dans ses revenus courants pour rembourser directement sa dette plutôt que de faire des versements au Fonds des générations(6).

De tels prélèvements sont exceptionnels, quoique pas nécessairement contre-indiqués. Certains jugent qu’il est même préférable de rembourser directement la dette plutôt que d’engraisser le Fonds, ce qui est moins risqué, d’autant plus en cette période de taux d’emprunt élevés.

Il reste que le Québec se prive ainsi des rendements du Fonds pour cet argent. En 2023, le Fonds, géré par la Caisse de dépôt et placement, a obtenu un rendement de 9,3 %, ce qui est nettement supérieur au coût des nouveaux emprunts du gouvernement (4,1 %). Et depuis 17 ans, la moyenne des rendements a été de 5,6 %, soit 2,4 points de plus que le coût des fonds sur la période.

Ce que j’en pense ? L’endettement moindre n’est pas une fin en soi. Il est possible d’avoir une dette raisonnable ET des services publics nombreux et adéquats.

De plus, le Québec possède un actif admirable en Hydro-Québec que n’ont pas les autres provinces. Cet actif pourrait réduire notre dette nette si on utilisait la valeur marchande d’Hydro-Québec plutôt que sa valeur comptable.

Autre élément : notre endettement est loin d’être inquiétant comme il y a 10 ans, alors que notre dette nette atteignait un sommet de 53,9 % du PIB. Enfin, le gouvernement caquiste dit avoir la ferme intention d’atteindre sa cible d’endettement plus faible de 32,5 % du PIB dans 15 ans.

N’empêche. À 39 % de son PIB, le Québec a aujourd’hui la deuxième dette nette la plus élevée des provinces, après Terre-Neuve-et-Labrador (44,3 % de son PIB). Le taux du Québec est 10 points au-dessus de la moyenne pondérée des 10 provinces (29,9 % de leur PIB).

Cet endettement plus lourd exige un redressement avant que la situation ne s’empire et n’affecte nos services publics.

1. Et quand je parle de l’histoire moderne, je parle d’une époque qui remonte pratiquement à Maurice Duplessis, à la fin des années 1950.

2. En fait, après être tombée sous l’Ontario en 2019, la dette nette du Québec a été redressée pour des questions comptables techniques, si bien que c’est en 2022, avec cette nouvelle définition, que le Québec est retombé sous l’Ontario.

3. Les chiffres de l’Ontario pourraient changer selon le budget qui sera déposé prochainement. Les données du texte sont basées sur l’analyse du 13 février du Bureau de la responsabilité de l’Ontario de février 2024.

Consultez les perspectives économiques de l’hiver 2024 en Ontario

4. C’est en 2016 que l’Ontario a vu sa cote reculer derrière celle du Québec sous le mandat de l’ex-première ministre libérale Kathleen Wynne après des années de très gros déficits.

Lisez « Un revirement financier historique Québec-Ontario » 5. Lisez « Des firmes de notation financière s’inquiètent du déficit budgétaire du Québec »

6. Le gouvernement a même dû vider les deux tiers du Fonds d’information sur le territoire (registre foncier), y puisant 400 millions pour soulager les besoins d’emprunts.

Précision 

Dans ma chronique du jeudi 14 mars, une erreur d’édition a fait dire à la 2e note au bas du texte que la hausse annuelle composée des ententes salariales donnait 8,8 % pour l’année débutant le 1er avril 2024 (6 % pour 2023 et 2,8 % pour 2024). Il aurait plutôt fallu lire 9 %, avec l’effet composé, comme le précisait le texte de la chronique qui renvoyait à la note.