(Québec) Vous dire comme je suis surpris.

Je m’attendais à un budget terne, sévère, sous le signe de l’austérité, mais ce n’est pas ce que le ministre Eric Girard nous a présenté.

Et je m’attendais à un déficit certes imposant, de l’ordre de 7 milliards, mais ô surprise, c’est plutôt le chiffre de 11 milliards qu’on retrouve dans le budget pour l’année 2024-2025 ! Ayoye !

Le gouvernement caquiste reporte donc à bien plus tard l’équilibre budgétaire, préférant majorer ses dépenses pour s’attaquer à certains enjeux.

Soutien additionnel aux personnes démunies, aux logements sociaux, aux services de garde, aux aînés souffrant d’invalidité, aux soins à domicile, aux DPJ, au secteur de l’aluminium, entre autres… Les sommes ne sont pas toutes musclées, mais elles y sont.

Bien sûr, il y aura toujours des groupes qui se jugeront négligés, vu leurs besoins très importants, qu’on pense aux organismes communautaires, et ils ont probablement raison. Mais dans le contexte déficitaire actuel, je m’attendais à pire.

Il y a quatre mois, en novembre, le gouvernement caquiste prévoyait un déficit de 3,0 milliards pour 2024-2025, une fois soustraits les versements au Fonds des générations. Ce déficit vient d’être rehaussé à 11 milliards, soit 8 milliards de plus. Ayoye, l’ai-je dit ?

Qu’est-ce qui explique l’explosion ?

D’abord, malgré la situation déficitaire, le gouvernement a choisi d’ajouter de nouvelles dépenses (que je mentionne plus haut) totalisant 1,9 milliard en 2024-2025, somme qui fait partie de l’écart de 8 milliards.

Les offres majorées aux employés de l’État ? Pour l’année 2024-2025, elles coûtent environ 3 milliards de plus que ce qui était prévu par le gouvernement dans la mise à jour de l’automne dernier. ⁠1

À ce sujet, une observation : ces 3 milliards, ils représentent environ 5 points de pourcentage de la masse salariale de 60 milliards du gouvernement. Dit autrement, on peut penser que le ministère des Finances avait possiblement sous-estimé les offres finalement négociées entre les parties de l’équivalent de 5 points pour les années 2023-2024 et 2024-2025. C’est étonnamment beaucoup.

Autre impact majeur sur les finances du gouvernement : la faible hydraulicité des bassins d’Hydro-Québec attribuable, notamment, aux faibles précipitations. Ce facteur, qui a forcé Hydro à réduire ses exportations, explique l’essentiel du manque à gagner de 1 milliard depuis l’automne.

Voilà l’essentiel des écarts.

Les caquistes ont-ils perdu le contrôle, comme le dit le Parti libéral ? La situation est-elle ingérable ?

Pas vraiment. D’abord, le déficit prévu de 11 milliards, qui deviendrait le plus important jamais enregistré, comprend une provision de 1,5 milliard pour les imprévus. Ensuite, le versement au Fonds des générations atteint 2,2 milliards, si bien que le réel déficit des activités courantes avoisine plutôt les 7,3 milliards.

Ce déficit corrigé de 7,3 milliards – dont la définition devient la même que dans les autres provinces – équivaut à 1,5 % du produit intérieur brut (PIB) du Québec. Récemment, la Colombie-Britannique a annoncé que son propre déficit atteignait 1,8 % pour la même période et la Nouvelle-Écosse, 0,8 %.

Dans les années 1980 et 1990, le déficit du Québec a déjà été nettement supérieur, notamment sous le ministre des Finances Jacques Parizeau en 1980 (4,7 % du PIB) et sous Jean Campeau en 1994 (3,3 % du PIB).

Autre considération : en période de récession ou de fort ralentissement, il est déconseillé au gouvernement de compresser les dépenses, comme l’enseignait John Maynard Keynes, même si leur majoration, à l’inverse, nuira à la lutte contre l’inflation et donc à la baisse des taux d’intérêt, comme le disait récemment Tiff Macklem, de la Banque du Canada.

La situation n’en est pas moins sérieuse. Et elle exigera des mesures costaudes, qu’Eric Girard a essentiellement reportées à l’an prochain, lorsqu’il présentera son retour à l’équilibre budgétaire, exigé dans la loi.

Le ministre a d’ailleurs annoncé que dès le printemps, il passera au peigne fin les dépenses de l’État. Le ménage sera fait dans les dépenses tant budgétaires (qui totalisent 136 milliards) que fiscales (74 milliards).

Pour l’instant, le ministre a notamment réactivé deux mesures classiques pour lutter contre le déficit, en majorant la taxe sur les cigarettes et en resserrant la lutte contre l’évasion fiscale.

En terminant, un coup de chapeau et une critique.

Je tiens à lever mon chapeau sur la décision du gouvernement de réformer, enfin, les crédits d’impôt offerts aux entreprises informatiques ou de multimédia. En informatique, notamment, seules 4 entreprises sur 702 paient des impôts au Québec.

Ces crédits sur les salaires sont de moins en moins nécessaires, vu la pénurie de main-d’œuvre. Ils avantagent des entreprises informatiques, comme CGI et IBM, qui absorbent ainsi des ressources humaines au détriment d’autres organisations non subventionnées. Québec récupérera 364 millions par année, à terme (voir le texte de mon collègue Julien Arsenault).

Une fausse provision de 1,5 milliard

Ma critique ? Eric Girard dit jouer de prudence en inscrivant à chacune des prochaines années une provision pour éventualités de 1,5 milliard. Le hic, c’est qu’en même temps, il précise dans son budget qu’il y a un écart à résorber de 750 millions à 2 milliards à chacune des quatre mêmes années 2025-2026 à 2028-2029.

Dit autrement, ces écarts sont d’éventuelles compressions ou hausses de revenus majeures qui s’ajoutent au déficit prévu pour ces années. Et ils viennent annuler la prudence de la provision…

1. La somme de 3 milliards et l’écart de 5 points de pourcentage englobent les employés encore en négociations, notamment les infirmières.

Une version précédente de ce texte mentionnait que le gouvernement avait sous-estimé le résultat final des négociations de l’équivalent de 0,5 point de pourcentage, alors qu’il appert que ce serait 5 points.