Un malheur ne vient jamais seul, comme le découvrent avec effroi des aînés invalides à l’occasion de leur 65e anniversaire. En plus de devoir composer avec un état de santé défavorable, leur rente de retraite est réduite parce qu’ils n’ont pas travaillé – ni cotisé – pendant une certaine période. Après 27 ans, cette façon injuste de faire les calculs sera corrigée.

À compter de 2025, la fin de la pénalité pourra représenter jusqu’à 3930 $ par année de plus dans les poches des aînés invalides. Il s’agit d’une hausse de 32 % de la rente de retraite qui pourra ainsi atteindre 16 375 $.

Le ministre des Finances Eric Girard a précisé que c’était la mesure dans son budget dont il est « le plus fier ».

C’est à se demander pourquoi son gouvernement s’est entêté à contester la décision du Tribunal administratif du Québec (TAQ) qui avait conclu, en juillet 2023, que la pénalité imposée aux aînés invalides est discriminatoire et inconstitutionnelle. Poursuivre cette bataille ne semblait pas très rationnel, d’autant plus que la situation financière du Régime des rentes du Québec (RRQ) permettait de corriger la situation sans hausser les cotisations.

Tout au long de l’année 2023, des groupes ont manifesté leur mécontentement et rencontré le ministre Girard. Mais rien ne semblait pouvoir faire plier Québec, seule province canadienne à amputer la rente de retraite des personnes invalides.

En désespoir de cause, des personnes handicapées se sont même tournées vers l’ONU !

La chose a fait peu de bruit, mais en janvier, la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHQ) y avait réclamé une « enquête urgente sur les violations des droits des personnes handicapées au Québec ». L’organisation qui représente 1 million de personnes jugeait que la mesure « discriminatoire » était « contraire aux principes fondamentaux des droits de l’homme ».

J’ai demandé à Eric Girard si cette plainte à l’ONU avait eu un impact dans sa réflexion. Il m’a répondu par la négative. S’il a tardé à enterrer la hache de guerre, c’est parce qu’il attendait de voir l’état de santé du RRQ, une fois l’année 2023 terminée. Grâce au rendement de 7,2 % du régime de base, la situation financière s’est un peu améliorée. Néanmoins, bonifier la rente de retraite des personnes invalides « consomme 80 % de la marge de manœuvre [de 160 millions]. Donc, il n’y aura aucun autre changement d’ici 2029 », a-t-il expliqué.

Autrement dit, ça coûte cher, même si la mesure ne touche pas une vaste proportion des Québécois.

Éliminer la réduction de rente de retraite des aînés invalides coûtera 135 millions par année. Quelque 77 000 personnes de 65 ans ou plus sont concernées. En outre, 23 000 personnes qui ont actuellement entre 60 et 64 ans finiront aussi par en profiter.

La mesure entrera en vigueur le 1er janvier prochain. Et aucun paiement rétroactif n’est prévu.

« Si c’est la mesure dont il est le plus fier, pourquoi attendre jusqu’en janvier 2025 pour l’appliquer ? », demande Eve-Lyne Couturier, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). Le ministre Girard n’a pas fourni d’explication. Cette décision risque de provoquer une certaine déception parmi les applaudissements et l’effet de surprise. De fait, rien ne laissait présager que Québec changerait son fusil d’épaule.

Eric Girard a raconté qu’il lui avait fallu du temps et des rencontres pour améliorer sa « compréhension de l’importance de cet enjeu » dont l’histoire commence il y a trois décennies. C’est en 1997 que le Québec a décidé d’appliquer aux bénéficiaires de la rente d’invalidité la même pénalité que celle imposée aux travailleurs qui choisissent de prendre une retraite hâtive pour le plaisir, soit avant 65 ans. En 2022, l’ampleur de la pénalité imposée aux personnes invalides était passée de 36 % à 24 %. C’était un premier pas, mais ce n’était pas suffisant. On continuait de pénaliser des personnes vulnérables qui n’avaient pas choisi de se retirer du marché du travail.

Actuellement, une personne invalide qui atteint 65 ans perd sa rente d’invalidité de 6999 $ par année, tandis que sa rente de retraite (de 12 445 $ au maximum) demeure stable. À compter de l’an prochain, la rente de retraite à 65 ans pourra grimper jusqu’à 16 375 $. Certes, les revenus totaux continueront d’être plus faibles, mais dans une bien moindre mesure, comme on le voit dans le tableau ci-bas.

Cette rare bonne nouvelle pour les contribuables contenue dans le budget Girard touchera à court terme un assez petit nombre de Québécois. Mais il faut se rappeler que personne n’est à l’abri d’un AVC ou d’une maladie dégénérative forçant un arrêt de travail complet. C’est ainsi que tout le monde risque d’être concerné un jour par l’issue de cette longue bataille menée par une poignée d’organisations et de personnes handicapées dont il faut saluer l’acharnement et la persévérance.