Le déficit du Québec explose et fracasse un record : 11 milliards de dollars, presque quatre fois plus que prévu. Le gouvernement Legault repousse le retour à l’équilibre budgétaire dans cinq ans. Il donne un premier coup de balai dans des crédits d’impôt, mais le vrai ménage se fera plus tard, en bonne partie après les élections de 2026.

Pour sortir du trou, il lance un « examen » complet des « dépenses des ministères et des organismes », mais aussi des « dépenses fiscales liées tant au régime d’imposition des particuliers qu’à celui des sociétés et au régime des taxes à la consommation ».

« Tout est sur la table », a affirmé le ministre des Finances, Eric Girard, en conférence de presse mardi. Il y a deux exceptions. « On vient de baisser les impôts, on ne les remontera pas », a-t-il précisé. Et « je n’annoncerai pas une hausse de la TVQ dans les prochaines années ». Le fruit de cet examen des dépenses sera connu dans un an.

Le gouvernement sort tout de même le couperet dès maintenant. Il annonce des mesures pour « optimiser l’action de l’État » afin de dégager des économies de 2,9 milliards en cinq ans.

Il révise à la baisse les crédits d’impôt soutenant les emplois du secteur des technologies de l’information. Il en abolit un autre destiné aux entreprises pour garder en emploi des travailleurs d’expérience, mesure « qui n’a pas eu les effets attendus ».

Québec demande des « efforts d’optimisation » de 1 milliard en cinq ans aux sociétés du gouvernement (Hydro-Québec, Loto-Québec, la Société des alcools du Québec, la Société québécoise du cannabis et Investissement Québec). Une telle opération avait été prévue lors du premier mandat mais avait été abandonnée en raison de la pandémie.

Le fisc va également resserrer son filet pour recouvrer des sommes dues et lutter contre les crimes économiques. Québec observe une sous-déclaration du prix de vente pour les véhicules usagés de 10 ans ou plus dans le but d’éluder le paiement de la TVQ. Il va prendre les moyens pour récupérer les 60 millions par année qui lui échappent en ce moment.

Il pige dans les poches des fumeurs : la taxe sur le tabac augmente de 2 $ par cartouche de 200 cigarettes dès mercredi et sera haussée du même montant le 6 janvier 2025.

Un record

Malgré ces mesures, Québec prévoit un déficit de 11 milliards en 2024-2025, après le versement au Fonds des générations qui sert à réduire le poids de la dette. Il s’attendait à un trou de 2,9 milliards. Ses dépenses augmentent presque deux fois plus que ses revenus (4,4 % contre 2,4 %).

« Ça pourrait être le déficit le plus élevé en dollars » de l’histoire du Québec, a reconnu Eric Girard en présentant son sixième budget. Il est même plus gros que celui enregistré durant la pandémie de COVID-19 – 10,7 milliards en 2020-2021. En pourcentage du produit intérieur brut (PIB), le déficit était toutefois plus élevé dans les années 1990, a voulu nuancer le grand argentier du gouvernement.

Le déficit de 11 milliards est presque deux fois plus important que celui de l’année qui se terminera le 31 mars (6,3 milliards, en hausse de plus de 2 milliards par rapport aux prévisions de décembre, apprend-on).

10 milliards pour les négos

Pourquoi le déficit gonfle-t-il autant ? Le gouvernement dépense 4 milliards de plus que prévu, notamment en raison des ententes pour renouveler les conventions collectives des employés de l’État. La bonification des salaires (17,4 % en cinq ans) et des conditions de travail contenues dans les ententes déjà conclues et celles à venir lui coûtera 3 milliards par année de plus que ce qu’il avait anticipé.

Québec calcule que les ententes avec le Front commun intersyndical (CSN, FTQ, CSQ et APTS) et la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), de même que celle à venir avec la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), représentent jusqu’à 7 milliards de dollars par année à terme. D’autres groupes – dont les fonctionnaires, les professionnels, les éducatrices en CPE et les médecins – n’ont toujours pas une nouvelle entente. Québec estime que tous les nouveaux contrats de travail lui coûteront au total 10 milliards de dollars, ce qui portera la masse salariale de l’État de 60 à 70 milliards par an à terme.

On a fait le choix d’investir dans nos ressources humaines. C’est très important pour la pérennité du système de santé public et notre école publique que la qualité et l’accessibilité des services s’améliorent. Alors, oui, ça amène un déficit élevé en 2024-2025.

Eric Girard, ministre des Finances

Bonne nouvelle pour des rentiers

L’augmentation plus forte qu’anticipé de la population et la hausse des coûts des infrastructures ont aussi creusé le déficit.

Québec ajoute également des nouvelles dépenses de près de 2 milliards avec son budget. La moitié va à l’éducation et à la santé.

« La mesure dont je suis le plus fier, c’est l’élimination à compter du 1er janvier 2025 de la réduction de la rente de retraite pour les aînés de 65 ans et plus en situation d’invalidité », a affirmé Eric Girard. La rente augmentera jusqu’à 3930 $ par année pour les 77 000 personnes âgées concernées.

Le déficit explose également parce que la stagnation de l’économie entraîne une baisse des revenus attendus de 1,6 milliard. Les revenus en provenance des entreprises du gouvernement chutent de 1 milliard, principalement ceux d’Hydro-Québec. Les incendies de forêt ont entraîné une baisse du niveau de ses principaux bassins, ce qui a réduit le volume des exportations.

Report du déficit zéro

Dans ce contexte, le gouvernement Legault change son plan de match : il ne vise plus un retour à l’équilibre budgétaire en 2027-2028. Il repousse l’atteinte du déficit zéro de deux ans, en 2029-2030.

Québec présentera son plan de retour à l’équilibre budgétaire dans un an, à l’occasion du dépôt du prochain budget.

La tâche s’annonce difficile. Les déficits prévus pour les prochaines années vont de 8,5 milliards en 2025-2026 à 4 milliards en 2028-2029, année précédant le retour promis à l’équilibre budgétaire. C’est donc un « déficit structurel » de 4 milliards que le gouvernement devra éliminer.

« Le déficit est gérable, et on va s’en occuper. Je m’y engage personnellement », a affirmé Eric Girard.

Son vaste « examen » des dépenses fiscales et celles des ministères permettra « d’identifier des premières sources d’économies qui traceront la voie vers l’équilibre budgétaire ».

« On va regarder pourquoi ces mesures-là ont été mises, c’est quoi leur efficacité aujourd’hui, est-ce que c’est toujours nécessaire ? », a résumé Eric Girard.

Preuve que les remises en question sont en cours : les rabais à l’achat d’un véhicule électrique – le programme Roulez vert – seront réduits graduellement à compter du 1er janvier pour disparaître en 2027.

Les ministères et les organismes devront se serrer la ceinture dans les prochaines années. La taille de l’État a plutôt grossi sous la gouverne caquiste jusqu’ici : en deux ans, le nombre de fonctionnaires a bondi de 7,6 % pour atteindre 78 456 « équivalents temps complets » (ETC). Le nombre de travailleurs hors de la fonction publique – comme dans les réseaux de la santé et de l’éducation – a augmenté de 1,7 % (493 424 ETC).

Austérité en vue ? « On peut avoir une gestion beaucoup plus efficiente tout en permettant d’assurer les services à la population », a déclaré la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel.

À suivre.