Les travailleurs qui s’affairent sur le plancher de vente ou derrière les caisses des magasins sont de moins en moins nombreux à être payés au salaire minimum. Déterminés à garder leurs employés et à en attirer de nouveaux, les détaillants québécois tentent d’offrir une rémunération plus alléchante.

Propriétaires de sept magasins L’Équipeur sur la Rive-Sud de Montréal, Anne Marie Atallah et son fils Mathieu en savent quelque chose. « Pour rester compétitifs sur le marché, surtout pour nos boutiques situées dans les centres d’achats où on s’arrache les employés, on n’a pas le choix de payer plus », a affirmé Mme Atallah, interrogée à la suite d’une conférence tenue mercredi pour présenter les résultats d’une enquête intitulée Prévisions salariales 2024 dans le secteur du commerce de détail, réalisée pour le compte de Détail Québec.

Et cette franchisée de L’Équipeur n’est visiblement pas la seule à verser des salaires qui se situent au-delà du taux horaire minimum. Près de 85 % des entreprises du secteur du commerce de détail ont un peu moins du quart de leurs employés qui gagnent « un taux de salaire inférieur au prochain taux général du salaire minimum », fixé à 15,75 $ au Québec à partir du 1er mai, révèle le sondage mené par la firme Rémunia.

« Les entreprises se distancient de plus en plus du taux général du salaire minimum, alors que 40 % des entreprises sondées n’ont aucun employé avec un taux de salaire inférieur à 15,75 $ », peut-on également lire dans le document.

Les gens qui s’affairent dans les magasins de vêtements, de chaussures et autres détaillants d’articles de sport sont donc moins nombreux qu’avant à gagner le salaire minimum. Ceux qui sont rémunérés à ce taux sont passés de 116 800 en 2019 à 77 200 en 2023. Au total, on comptait 630 675 employés dans le secteur en 2019 contre 641 677 quatre ans plus tard.

Qui l’aurait cru ? Les entreprises dans le détail ont tendance à s’éloigner du salaire minimum pour rester compétitives dans un marché qui s’est vraiment resserré. C’est un changement de paradigme.

Manuel Champagne, directeur général de Détail Québec, comité sectoriel de main-d’œuvre du commerce de détail

À l’instar de Mme Atallah, plusieurs détaillants joints par La Presse ont affirmé ne plus avoir dans leur équipe des employés payés au salaire minimum, qu’ils soient à temps partiel ou à temps plein. « Avec la pénurie de main-d’œuvre, on veut se différencier », mentionne Jessika Roussy, copropriétaire de Mode Choc, enseigne qui compte 11 magasins. « On est conscients de la réalité des gens. Il faut qu’ils paient leur épicerie. »

« C’est très rare qu’un employé soit payé au salaire minimum », mentionne à son tour Paul-André Goulet, propriétaire de 10 magasins Sports Experts. « En général, ça va arriver à des jeunes qui commencent sur le marché du travail, mais rapidement il y a des augmentations de salaire basées sur différents critères. »

Par ailleurs, cet éloignement des détaillants par rapport au salaire minimum ainsi que les résultats de l’enquête de Détail Québec ont fait réagir la présidente de la CSN, Caroline Senneville. « Les données recueillies dans le cadre de l’enquête sur les prévisions salariales 2024 dans le commerce de détail démontrent toute l’absurdité et l’inefficacité d’un salaire minimum aussi bas que celui en vigueur au Québec, a-t-elle affirmé dans une déclaration officielle envoyée par courriel. Quand les entreprises font le choix de rehausser elles-mêmes leur offre salariale au-delà du seuil minimal fixé par le gouvernement pour attirer et garder leurs employé-es, c’est dire si le taux de 15,75 $, qui entrera en vigueur le 1er mai prochain, est risible. Ce n’est certainement pas avec un tel taux qu’on va réussir à sortir le monde de la pauvreté ! »

Prime d’assiduité

Pour retenir leurs employés, des détaillants pourraient également commencer à instaurer des primes à l’assiduité. Celles-ci servent, par exemple, à récompenser les efforts des employés qui voudraient s’engager à travailler 35 heures par semaine. Selon le sondage, près de 5,3 % des entreprises interrogées prévoient implanter un tel système. Si le phénomène semble encore marginal, Manuel Champagne croit néanmoins qu’il s’agit d’« une tendance émergente ».

« Ce n’était pas là avant. On est convaincu qu’elle va prendre de l’ampleur pour s’assurer que les opérations se déroulent rondement dans les magasins. »

Mme Atallah et son fils envisagent d’ailleurs la possibilité de mettre en place un tel système. « C’est devenu un fléau, les absences et les retards, reconnaît-elle. De quelle façon on va l’implanter ? Il faut réfléchir. »